Cacophonie autour de l'assujettissement des retraités modestes aux taxes locales
Sont en cause les conséquences fiscales de la suppression de la « demi-part des veuves », mesure adoptée dans la loi de finances pour 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy et le gouvernement de François Fillon. Sauvegarde Retraites avait déjà averti, à l’époque, de ce qui allait en résulter pour des centaines de milliers de retraités qui deviendraient assujettis à l’impôt sur le revenu, mais aussi à la redevance audiovisuelle, à la CSG et au CRDS, et aux impôts locaux (taxes foncière et/ou d’habitation).
Comme Manuel Valls en est convenu dans Le Monde du 23 octobre, « ça a fait des dégâts considérables ». Fiscalité, grosse malheur ! Mais le Premier ministre s’en décharge un peu trop vite sur les seuls Fillon et Sarkozy. Certes, ceux-ci ont été les maîtres d’œuvre de cette mesure perverse mais depuis plus de trois ans qu’ils sont au gouvernement, leurs successeurs socialistes auraient eu tout le temps de l’abroger, ne fût-ce qu’en 2014, date à laquelle elle aurait dû si l’exonération des retraités modestes n’avait été prolongée.
Ce n’est donc qu’en 2015 que ces derniers ont reçu leurs avis d’imposition locale. Comme il était prévisible, le montant des taxes foncière et d’habitation a considérablement augmenté pour 650 000 d’entre eux, tandis que 250 000 autres, dont les revenus étaient jusqu’alors trop faibles pour être imposés, ont pour la première fois été tenus de s’en acquitter.
À un mois d’élections régionales qui s’annoncent catastrophiques pour la gauche, il fallait oser ! Les élus de sa majorité, inquiets de perdre leurs gamelles locales, ont donc fait pression sur le gouvernement pour que l’exonération soit prolongée. Ce qui a conduit le secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert, à déclarer, le 1er novembre, que tous les retraités qui étaient exonérés d’impôts locaux en 2014 le resteront en 2015, que ceux qui s’en sont déjà acquittés (notamment de la taxe foncière) seront « remboursés sans démarche particulière » et, encore plus fort, que ceux qui n’ont pas encore payé « sont invités à ne pas le faire, ce qui évitera des démarches ». C’est Noël en novembre !
Un Secrétaire d’Etat au Budget demandant aux citoyens de ne pas payer leurs impôts, c’est une grande première. Plus fort encore : le 31 octobre, le premier ministre, Manuel Valls, a fait savoir sur son « compte Twitter » que l’exonération sera maintenue en 2016. Le bon peuple est donc désormais informé des décisions du gouvernement par « gazouillis » !
Reste que ces annonces débouchent sur une cacophonie. Concernant les remboursements, par exemple, Christian Eckert avait précisé : « Nous allons le faire de façon la plus automatisée possible, nous avons besoin encore de voir avec nos services comment travailler. » Malheureusement, le Secrétaire d’Etat au Budget aurait dû consulter lesdits services avant de parler : deux jours plus tard, le Parisien a publié un document de la Direction générale des finances publiques indiquant que pour les contribuables mensualisés ou prélevés à échéance, les prélèvements ne peuvent plus être arrêtés et seront effectués aux dates prévues (16 ou 26 novembre).
Les contribuables concernés seront donc remboursés… au premier semestre 2016. (1) Le gouvernement n’a pas précisé s’il prendrait en charge, en attendant, les agios, commissions d’intervention bancaire et autres frais qui découleront de cette situation pour des retraités modestes, pour lesquelles les sommes prélevées représentent parfois un mois de pension (autour de 1000 euros).
Deux remarques, pour finir :
- Manuel Valls a annoncé que l’exonération serait renouvelée en 2016. Mais qu’en sera-t-il après, c’est-à-dire… après l’élection présidentielle ? Si la mesure est mauvaise, ne convient-il pas de l’abroger définitivement, dès à présent ?
- En outre, même si ces retraités modestes sont pour l’instant exonérés des taxes locales, ils n’en ont pas moins acquitté l’impôt sur le revenu, la CSG, le CRDS et la redevance audiovisuelle. Et 650 000 autres, qui sont très loin d’être des « riches », ont vu leur imposition locale augmenter considérablement.
Autrement dit, même si Bercy leur accorde un sursis avant la guillotinade finale, il a déjà entrepris de les égorger. Il existe pourtant un moyen simple de les sauver : rétablir la « demi-part des veuves ».
(1) Les contribuables « qui le souhaitent » pourront néanmoins être remboursés plus tôt « en s’adressant dès le 9 novembre à l’administration fiscale ». Le ministre « donnera une instruction aux services pour qu’ils procèdent à ce remboursement, qui interviendra dans les trois semaines à compter de la demande », est-il précisé.