CRPN : le rapport hors sol de la Cour des comptes
Les magistrats pointent tout d’abord un régime trop généreux, beaucoup plus avantageux que les régimes de droit commun. Il faut dire que le personnel commercial (hôtesses et stewards) part en moyenne à la retraite à 58,5 ans (alors que cette même moyenne est de 63,4 ans dans le reste du secteur privé) et que le rendement du régime est meilleur qu’à l’Agirc-Arrco… Une aubaine !
Nos magistrats craignent que cette générosité ne rende la caisse ingérable et la précipite dans le rouge, d’autant plus que comme dans la plupart des régimes, le nombre des cotisants tend à stagner alors que le nombre de retraités est en progression constante. Ils recommandent donc « d’adapter les paramètres du régime, afin de garantir sa pérennité à long terme » (âge de la retraite, niveau des cotisations, etc.). Ensuite, le rapport révèle également des problèmes de gestion, en particulier des sureffectifs au sein de la caisse et des remboursements de frais indus ou excessifs chez les administrateurs. Ces derniers griefs, longuement passés en revue, sont très inégaux. Sur certains points, les magistrats semblent presque tatillons. D’autres, en revanche, ont de quoi laisser pantois, comme le voyage à Tahiti de six personnes de la caisse (trois administrateurs et trois employés) qui s’est soldé par 81 000 euros de frais, pour des séances de travail réparties sur seulement trois jours…
Enfin, pour rétablir de l’ordre, les magistrats n’ont pas manqué de conclure qu’il fallait renforcer la tutelle de l'Etat!
Malheureusement, ce type de constat est devenu commun. On ne compte plus le nombre de publications de la Cour des comptes, de l’inspection générale ou d’instituts et fondations qui font état de telles dérives s’agissant d’organismes de sécurité sociale. Les mêmes causes (organismes en situation de monopole, cotisations obligatoires…) produisent trop souvent les mêmes effets.
Évidemment, les magistrats de la rue Cambon sont dans leur rôle lorsqu’ils alertent sur la gestion « aléatoire » des organismes publics. Il est même fâcheux de constater que beaucoup trop souvent leurs rapports demeurent lettre morte. En revanche, une fois n’est pas coutume, si les recommandations de ce rapport sur la CRPN n’étaient pas toutes suivies d’effets, ce ne serait pas plus mal, tant il est stupéfiant de voir les magistrats se fourvoyer en recommandant un renforcement de la tutelle de l’État. C’est à tout le moins faire preuve d’une amnésie troublante et d’une vision étriquée de la problématique des retraites que de faire une telle recommandation. Pour en juger, deux points fondamentaux méritent en effet d’être rappelés :
- en premier lieu, la réglementation aussi généreuse que peu réaliste de la CRPN, qui consiste à verser des pensions à des quinquagénaires est une résurgence du passé, lorsque Air France était une entreprise nationale. Autrement dit, c’est l’héritage d’une époque où toute l’aviation civile, y compris les personnels des compagnies aériennes françaises, était placée sous la tutelle de l’État. Faut-il alors sérieusement demander à l’État de remédier aux mauvais effets dont il est la cause ? La politique du pompier pyromane n’a jamais fonctionné, quel que soit le domaine. Au surplus, on sait à quel point l’État est impuissant à réformer les retraites et combien il est peu responsable dans la gestion des régimes dont il a la charge. Pour s’en convaincre, pas besoin d’aller chercher bien loin, il suffit de jeter un œil sur le régime délirant des contrôleurs aériens de l’aviation civile qui bénéficient d’avantages ahurissants qui ne sont absolument plus financés. Ces derniers sont des fonctionnaires d’État sous statut, qui ne manquent pas une occasion de faire grève pendant les vacances. Leur chantage permanent s’avère quasiment toujours payant et les rançons versées viennent creuser les déficits publics. L’État semble avoir tout bonnement abandonné.
- en second lieu, si la CRPN a hérité d’une réglementation retraite délicate, puisque archaïque et fruit de l’étatisme passé, elle est, malgré cela, l’un des rares régimes de retraite obligatoire qui a su se constituer des réserves très substantielles. Ce point est assez rare pour être souligné. Ce très petit régime de retraite à l’échelle de la sécurité sociale, puisqu’il ne compte que 25 000 retraités, peut s’appuyer sur une réserve de 5,1 milliards d’euros. C’est du pain bénit !
Ces 5 milliards d’euros ne tombent cependant pas du ciel. Ils sont évidemment le fruit d’une gestion passée prudente de la part du conseil d’administration de la caisse une qualité de gestion qui n’a aucun équivalent dans les régimes de retraite gérés par l’État ou qui sont placés sous sa tutelle stricte.
Avec de telles réserves (l’équivalent de six années de prestations), les actuaires estiment que le régime peut encore naviguer vingt à trente ans sans plonger dans le rouge. Qui dit mieux ? Autrement dit, s’il faut effectivement continuer à adapter la gestion du régime pour anticiper les défis à venir, il ne faut, en revanche, surtout pas en confier la tutelle à l’État du moins, pas plus qu’il ne l’a aujourd’hui… Ce serait folie ! D’autant plus que, dans le contexte financier actuel, il serait forcément tenté de faire main basse sur cette poignée de milliards. Là encore, les précédents abondent…
Si les régimes de la fonction publique avaient été gérés avec la même prudence que la CRPN, ils bénéficieraient aujourd’hui d’une réserve de 522 milliards d’euros alors qu’ils charrient actuellement un déficit annuel vertigineux de 49 milliards d’euros. Un déficit masqué dans la comptabilité publique sur lequel la Cour des comptes s’entête à vouloir jeter un voile pudique… « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », nous dit La Fontaine, dans Les animaux malades de la peste. Sa fable n’a décidemment pas pris une ride !

