Les deux erreurs de François Bayrou

La première erreur a consisté à demander à la Cour des comptes de réaliser un « audit-flash » des retraites. Voilà longtemps que Sauvegarde Retraites demandait un audit indépendant, mais celui publié le 20 février par les magistrats des comptes pèche à plusieurs égards :
- le temps imparti était beaucoup trop court. Dresser un état des retraites en un mois est une gageure, tant les systèmes sont complexes et les nombreux régimes différents ;
- l’indépendance de la Cour des comptes est sujette à caution, même si elle figure au nombre de ses « valeurs professionnelles ». En effet, comme cette institution l’indique elle-même, « les magistrats des juridictions financières sont recrutés, pour l’essentiel, parmi les anciens élèves de l’École nationale d’administration (ÉNA) ». La Cour est composée de haut-fonctionnaires sous statut, bénéficiant à ce titre des régimes de retraite de la fonction publique. Avant d’être nommé à sa tête en juin 2020 par Emmanuel Macron, son premier président, Pierre Moscovici, fut directeur de campagne de François Hollande en 2012, puis ministre de l’Économie et des Finances dans les deux gouvernements Ayrault, et commissaire européen aux Affaires économiques et financières. Voilà un parcours politique qui n’offre pas forcément les plus grandes garanties d’« indépendance »…
- Surtout, la Cour des comptes a fait l’impasse sur la différence essentielle entre les régimes du secteur privé, qui relèvent d’une logique assurantielle et fonctionnent par répartition, et ceux du secteur public, qui dispensent à leurs bénéficiaires des traitements à vie payés par les contribuables. Les magistrats de la rue Cambon prennent même prétexte de ces « différences structurelles » pour écrire qu’elles ne permettent pas de comparer le régime de la fonction publique de l’État avec le régime général – et pour sortir du déficit des retraites la subvention de 45,1 milliards d’euros versée par l’État pour financer les pensions de ses fonctionnaires !
La deuxième erreur de François Bayrou a consisté à confier aux syndicats le soin de réformer la réforme. En France, le syndicalisme est très imbriqué avec l’État. Les syndicats, très influents dans le secteur public, se préoccupent en priorité de défendre les avantages des régimes spéciaux. François Bayrou a choisi de procéder à l’inverse des politiques suédois, qui, pour réformer en profondeur leur système de retraite, à la fin des années 1990, avaient commencé par mettre les organisations syndicales sur la touche.
Le Premier ministre va-t-il commettre une troisième erreur ? Il a suggéré d’organiser un référendum sur les retraites « en cas de blocage des négociations » entre les partenaires sociaux (cas de figure qui n’a rien d’improbable). L’idée est bonne ; mais le contexte n’est pas favorable à François Bayrou : il est politiquement sur un siège éjectable ; le rapport faussement objectif de la Cour des comptes a contredit sa propre évaluation du déficit des retraites (55 milliards d’euros, chiffre pourtant encore très inférieur à la réalité) ; les syndicats se sont emparés de la réforme (comme il le leur a lui-même demandé) et, pour le moment, Emmanuel Macron ne paraît pas disposé à consulter les Français.
Si la proposition du Premier ministre aboutit néanmoins et débouche sur l’organisation d’un référendum, François Bayrou osera-t-il poser les vraies problématiques pour trouver les bons remèdes ? Si ce n’est pas le cas, il s’agira d’un simple effet d’annonce (un de plus !) destiné à gagner du temps, alors que la situation alarmante des retraites et plus largement des finances publiques appelle des solutions urgentes.
Or, alors que les campagnes de Sauvegarde Retraites et les interventions de plusieurs experts, comme Jean-Pascal Beaufret et Rémi Pellet commençaient à informer les Français sur la réalité du déficit, les conclusions erronées des magistrats des comptes réinstaurent le doute dans l’opinion publique et sont reprises avec enthousiasme par de nombreux médias et politiciens. Ainsi le ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard, a-t-il affirmé sur RTL, le 21 février, que « contrairement à ce qu'a affirmé François Bayrou, il n'y a pas de déficit caché du système de retraite » et que « le sujet important, aujourd'hui, c'est de regarder les retraites du secteur privé », qui, selon lui, seraient responsables de l’essentiel du " trou " ! Autrement dit, les cotisants et retraités du privé paieront… Sans craindre le paradoxe, Éric Lombard ajoute que les retraites complémentaires des salariés du privé (Agirc-Arrco) « sont non seulement à l'équilibre, mais il y a un excédent très important, qui est de l'ordre de 80 milliards d'euros de réserve dans ce régime. Donc, ils vont nous faire des propositions, et naturellement… »
On a compris : « naturellement », le ministre lorgne sur ces réserves, constituées grâce aux efforts consentis par les salariés du privé en prévision des temps de vaches maigres et que l’État convoite depuis longtemps.
C’est à quoi Sauvegarde Retraites continue à s’opposer de toutes ses forces. Nous attendons que François Bayrou désavoue clairement son ministre de l’Économie. Pas question de faire payer une fois de plus les affiliés aux caisses du privé pour sauver les privilèges des régimes spéciaux du public ! Ni de piller les réserves de l’Agirc-Arrco pour combler le déficit abyssal d’un État incapable de gérer ses propres retraites !