Régimes spéciaux : la valse des compensations

L’exemple le plus criant est fourni par les compensations obtenues par les syndicats des personnels navigants de l’aviation civile et d’aiguilleurs du ciel, qui bénéficient déjà d’un régime-maison particulièrement avantageux. Elles ont été concédées par le gouvernement au terme de négociations confidentielles, récemment révélées par Le Figaro. Le tour de passe-passe consiste à adapter leur retraite complémentaire au recul de l’âge de départ à 64 ans. Ainsi, les personnels navigants continueront à partir respectivement… à 55 et 60 ans, et leur caisse complémentaire (CRPN) paiera le surcoût, c’est-à-dire les pensions. Ou plutôt, la caisse étant incapable d’absorber elle-même ce « surcoût », c’est l’Etat, donc en définitive les contribuables, qui casqueront ! Pour les aiguilleurs du ciel, le gouvernement a entrepris de compenser le coût du recul de l’âge légal de 52 à 54 ans, également aux frais du contribuable…
Nul doute que d’autres négociations discrètes soient en cours pour les autres régimes spéciaux. L’exécutif a beau affirmer qu’ils « ne sont plus justifiés aux yeux des Français et [que] les âges dérogatoires de départ, 52 ans ou 57 ans, ne sont plus adaptés à la réalité de ces métiers », tout cela va néanmoins continuer.
Leur pseudo-suppression constitue la plus incroyable entourloupe de la communication gouvernementale. Première supercherie : le gouvernement affecte, contre la réalité, de considérer que les plus importants de ces régimes spéciaux, à savoir ceux des fonctionnaires, n’en sont pas ! Ils sont donc conservés et continueront à vivre de la manne publique, tout en négociant en sous-main un impact minimal – voire inexistant – du recul de l’âge légal de départ…
Quelques régimes spéciaux, ceux de la RATP, des IEG (EDF-GDF), de la Banque de France, ou encore du Conseil économique, social et environnemental (CESE), vont être fermés… sur le modèle du régime spécial de la SNCF. Rappelons qu’à la SNCF, les nouveaux embauchés (recrutés à partir du 1er janvier 2020) sont théoriquement affiliés aux régimes des salariés du secteur privé (CNAV et AGIRC-ARRCO). Mais en réalité, ils restent gérés par la caisse du régime spécial, ce qui procure l’outil technique et juridique propice à des compensations, via un système interne d’entreprise, dont le coût, s’agissant d’entités publiques, pèsera sur tous les contribuables (lesquels paient déjà une subvention de 3,3 milliards d’euros par an à la caisse de la SNCF). En outre, sous prétexte d’équité (!), les régimes des salariés du privé versent au régime spécial de la SNCF une « soulte » qui lui sert à payer les pensions « maison » et les avantages retraite substantiel des cheminots restés sous statut (recrutés avant le 1er janvier 2020).
Par le biais de ces soultes appelées à grossir de manière exponentielle (déjà 57 millions d’euros en 2023, contre 10 millions en 2020, à la CNAV !), ce sont les cotisants aux régimes du privé qui financent les avantages retraites servis par le régime spécial des cheminots – lequel ne disparaîtra pas avant un siècle, dans le meilleur des cas ! Et s’ajoutent encore à cela les transferts financiers payés au régime spécial de la SNCF par les caisses du privé, qui vont atteindre, en 2023, 81 millions d’euros.
Si nous laissons faire, la même duperie présidera à la « fermeture » des régimes de la RATP, des IEG, de la Banque de France ou du CESE. Répétons-le : il n’y aura pas de véritable réforme des retraites sans la suppression pure et simple des régimes de rémunération à vie.