Nous sommes tous des « chibanis » !
À la SNCF, une « discrimination » peut en cacher une autre, et de beaucoup plus grande ampleur. Le 21 septembre, le conseil des prud’hommes de Paris a condamné la société nationale des chemins de fer pour discrimination envers ses ex-employés « chibanis ». On appelle ainsi les travailleurs maghrébins ou africains venus chercher du travail et de meilleures conditions de vie en France, dans les années 1970.
En 2005, plus de 800 anciens employés marocains de la SNCF avaient porté plainte contre la compagnie publique, à laquelle ils reprochaient de ne pas leur avoir octroyé les mêmes conditions de carrière, ni des mêmes avantages à la retraite, que les cheminots français. Aux termes du jugement, l’entreprise publique devra verser à chacun entre 150 000 € et 230 000 € de dommages et intérêts, soit environ 150 millions d'euros.
Or ces dizaines de millions d’euros, qui viendront gonfler le déficit structurel de la SNCF et une dette de quelque 41 milliards d’euros répartie entre la société nationale et Réseau ferré de France, seront finalement payés par les contribuables français. Moyennant quoi, la Société nationale se donne « le temps de l’analyse » avant de décider si elle fera appel !
Ce n’est pas la seule raison de s’indigner de ce jugement. Ces citoyens marocains, embauchés par la SCNF comme contractuels avec un contrat de droit privé, avaient librement accepté ce contrat et les conditions qui leur étaient proposées. Si elles ne leur convenaient pas, ils auraient pu refuser l’offre : rappelons qu’en 1975, la France connaissait le plein emploi avec un taux de chômage à 3,3 %. Il faut donc croire qu’un emploi de contractuel à la SNCF leur avait paru assez confortable. En outre, aujourd’hui encore, la loi oblige la SNCF à n’embaucher que des citoyens français ou des ressortissants de l’Union européenne. L’entreprise publique est donc condamnée pour avoir respecté la loi !
Mais poussons la logique à son terme : si les juges prud’homaux décident que les anciens contractuels marocains de la SNCF ont fait l’objet d’une discrimination parce que leur contrat de droit privé ne leur permettait pas de bénéficier du régime spécial de retraite statutairement réservé aux cheminots, pourquoi ce raisonnement ne s’appliquerait-il pas à tous les salariés français du secteur privé ?
Voilà des années qu’à Sauvegarde Retraites, nous dénonçons la discrimination entre les bénéficiaires des régimes spéciaux de retraites du public, et les retraités du privé affiliés au régime général. Ces derniers pourraient tous demander, pour la même discrimination que celle dont sont « victimes » les "chibanis" (régime privé/régime public), les mêmes réparations. Et dans ce cas, la SNCF devra aligner beaucoup plus que 300 millions d’euros. Allez, chiche !
- Mots clés :
- inégalité public privé
- régimes spéciaux