La réforme des retraites n'est que du rafistolage !

L'économiste Jacques Bichot est intervenu dans ce sens à l'occasion des sixièmes rencontres parlementaires

La réforme paramétrique qu’examine actuellement le Parlement va poser une nouvelle rustine sur une chambre à air complètement poreuse : le système français de retraites par répartition. C’est mieux que de ne rien faire, mais il y avait mieux à faire, et il importe que la prochaine réforme opère enfin une rupture par rapport au sabotage du système qui a eu lieu en 1982 et aux rafistolages de 1993, 2003 et 2010.


A quoi devrait être consacrée la prochaine réforme pour mettre fin à cette série de ravaudages qui exaspère les Français ? Il devra s’agir d’une réforme systémique, mais en quoi devrait-elle consister ? Pour répondre en détail à cette question un groupe de travail est nécessaire il devrait être solidement charpenté et dûment missionné par la loi. Les 8 observations qui suivent donnent un premier aperçu de ce que pourraient être ses axes de travail.

1/ On demande aujourd’hui au Parlement de bouger les curseurs, c’est-à-dire de faire un travail de gestionnaire – celui que font les Conseils d’administration des régimes complémentaires. Il importe de rompre avec cette confusion des rôles du gestionnaire et du législateur. La loi est faite pour poser des principes, des règles, définir les objectifs fixés aux gestionnaires, préciser les variables de commandes grâce auxquelles, année après année, ceux-ci pourront agir pour atteindre les objectifs.

2/ Les principes de base les plus fondamentaux forment la devise de notre République : Liberté, Egalité, Fraternité. Ces principes sont sans cesse bafoués par l’action brouillonne de pouvoirs publics au sein desquels le méli-mélo de l’exécutif et du législatif devient la norme. Ainsi le principe de liberté est-il en voie d’être mis à mal une fois de plus par l’interdiction inutile d’un départ à la retraite avant 62 ans, alors qu’il était parfaitement possible d’atteindre l’objectif de retour à l’équilibre financier au moyen d’une retraite à la carte avec neutralité actuarielle, expression directe des principes de liberté, d’égalité, et de responsabilité. Le législateur devrait chercher les moyens d’accroître la sphère des libertés. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle, ne dispose-t-elle pas que « la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société » ? Or celui qui liquide sa pension à 60 ans ne nuit en rien à la société si la rente qu’il perçoit est calculée conformément aux règles de la neutralité actuarielle – ce qui implique évidemment que son montant mensuel sera inférieur à celui obtenu en cas de liquidation moins précoce.

Une formule de retraite à la carte avec neutralité actuarielle aurait pu être instaurée dès 2011 dans chaque régime si les pouvoirs publics avaient accepté d’envisager autre chose qu’une réforme paramétrique. Il aurait suffi de modifier légèrement la formule de calcul de la pension dans les régimes complémentaires par points, et de pratiquer un changement un peu plus important dans les formules des régimes de base par annuités.
La réforme de 2010, en ne s’engageant pas dans cette voie, a manqué le coche de la liberté responsable.

3/ Le principe d’égalité est de même battu en brèche par la subsistance de trois douzaines de régimes différents, de générosités fort inégales, et par la règle de calcul de la pension dans les régimes par annuités, qui favorise certains profils de carrière par rapport à d’autres. L’égalité requiert l’unification des régimes, et le recours aux points pour le calcul des droits à pension dans le régime unique.

La convergence des régimes est semble-t-il l’actuelle doctrine officielle. Il s’agit d’un leurre : au rythme qui est le sien depuis 20 ans, ce sera l’affaire de plus d’un siècle. En outre, chaque abolition d’un privilège est ressentie comme un casus belli par ceux qui en bénéficient. Ils engagent en conséquence une lutte dont l’issue est le remplacement de cet avantage par d’autres, à peu près aussi coûteux. Il serait temps de comprendre que la politique des petits pas n’est pas synonyme de prudence et d’efficacité, mais conduit souvent à maximiser les résistances. Nos stratèges sociaux ressemblent à leurs homologues militaires des années 1930 qui misaient tout sur la ligne Maginot et ignoraient les potentialités du blitzkrieg. Préconiser le recours au big-bang pour réussir une réforme systémique des retraites par répartition revient à raisonner comme un certain Colonel de Gaulle lorsqu’il préconisait avant guerre l’utilisation des blindés pour mener une guerre de mouvement permettant d’atteindre rapidement le cœur du dispositif ennemi. La méthode des petits pas conduit à enterrer la pensée stratégique de Charles de Gaulle.

4/ Le passage aux points débouche sur une conception financière des droits à pension, qui permet une grande souplesse. Comme les Suédois, les Français pourraient liquider une fraction seulement de leur pension, et modifier ce pourcentage à leur guise. Cela, joint à la disparition de toute incompatibilité entre pension et travail, permettrait à chacun de se concocter la retraite progressive adaptée à son cas personnel, au lieu d’être conduit à y renoncer par la rigidité bureaucratique des dispositions actuelles. Chacun aurait aussi droit à l’erreur : la liquidation ne constituerait plus une opération irréversible la personne qui s’apercevrait qu’elle est partie trop tôt pourrait reprendre une activité, cesser de percevoir sa pension, et se remettre à accumuler des droits.

Le passage aux points permettrait aussi de régler le problème lancinant des pensions de réversion et celui de la répartition des droits à pension en cas de divorce : éléments du patrimoine, les points acquis par les conjoints sous le régime de la communauté seraient traités selon les règles du droit civil.

5/ Du point de vue de la Fraternité, un système unique fonctionnant par points autoriserait toute les prises en compte du chômage, de la maladie, de l’invalidité, de l’usure physique ou psychique, qui existent dans les systèmes par annuités. Avec une différence : la valeur des points attribués au titre de la solidarité est connue, à la différence de celle des trimestres. On saurait donc chiffrer précisément ce que l’Etat doit payer au titre des droits non contributifs. Or les bons comptes font les bons amis.

Les points permettraient aussi d’adopter un système de garantie de pension à la suédoise, remplaçant à la fois notre minimum contributif et l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Cette garantie maintient une incitation au travail, sans pour autant être moins généreuse. « Aides-toi et le système de retraites t’aidera » pourrait être sa devise.

Last but not least, les points et l’unification permettraient d’instaurer un système simple et juste de reconnaissance des services rendus au système de retraite par les personnes qui mettent au monde et élèvent des enfants. Attribuer X points pour chaque enfant porté ou élevé pendant un mois serait une formule conforme au principe d’égalité, aujourd’hui mis à mal par les règles d’attribution des droits familiaux à pension. Ces points relèveraient clairement d’une logique contributive, conformément au théorème de Sauvy, selon lequel nous préparons nos pensions futures non par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants. Une disposition absurde et honteuse du droit positif français, le classement des droits familiaux à pension parmi les avantages de retraite non contributifs, serait enfin remplacée par une disposition équitable et en phase avec la réalité.

6/ Selon l’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi retraites en juillet dernier, « une réforme systémique n’apporterait pas en elle-même une réponse aux déséquilibres financiers ». Certes, mais l’unification des régimes, l’adoption des points et de la retraite à la carte avec neutralité actuarielle, fourniraient les outils permettant d’éviter de tels déséquilibres : principalement la valeur d’achat du point et sa valeur de service. Grâce à ces paramètres, les conseils d’administration des régimes complémentaires ajustent année après année les dépenses aux recettes. Associés aux coefficients actuariels, ces outils verraient leur efficacité encore accrue.

7/ Les recettes doivent-elles servir elles aussi de curseur pour restaurer l’équilibre budgétaire ? L’équité intergénérationnelle s’oppose à ce que l’on augmente encore de manière importante les prélèvements sur le travail au profit des retraités. Un taux maximal de cotisation devrait être instauré, avec comme objectif de rester généralement en dessous de ce taux, de façon à pouvoir en cas d’urgence augmenter provisoirement les cotisations sans pour autant le dépasser. Les autres ressources devraient être prohibées, et notamment les prélèvements sur le capital : l’Etat et les collectivités territoriales en ont besoin déshabiller Pierre pour habiller Paul n’est pas une solution.


La réforme systémique doit donc déboucher sur un système à cotisations définies, dans lequel ce sont les dépenses qui s’adaptent aux recettes. Pour réaliser cette adaptation, on peut compter sur un double bon sens : celui du conseil d’administration du régime, chargé de fixer chaque année les valeurs d’achat et de service du point et celui des assurés sociaux, libres de liquider leurs pensions quand ils veulent, mais avec des coefficients actuariels qui feront déboucher les liquidations précoces sur des pensions mensuelles modestes. Mis ainsi en situation de liberté responsable, les assurés sociaux augmenteront l’âge de leur départ en retraite avec moins d’amertume que s’ils y sont contraints par des lois et règlements dirigistes.


Certes, la réforme des retraites ne résout pas à elle seule le problème de l’emploi. D’autres réformes sont nécessaires pour supprimer les blocages qui raréfient les créations d’emplois dans notre pays. Mais les travaux disponibles montrent que les employeurs s’adaptent aux réformes des retraites qui conduisent les travailleurs à vouloir différer leur cessation d’activité : ils développent la formation des seniors, adaptent missions et postes de travail de façon à pouvoir tirer parti des compétences et de la disponibilité de cette main d’œuvre. L’impact positif du recul de l’âge moyen de liquidation des pensions sur l’employabilité des seniors est, par bonheur, une réalité.

8/ Une réforme systémique complète requiert au moins 6 à 8 années de travaux préparatoires : c’est ce qu’il a fallu à nos amis suédois, qui partaient pourtant d’une situation moins difficile que celle des retraites françaises. En Suède il n’y avait qu’un très petit nombre de régimes, et il existait de très confortables réserves, alors que le point de départ français est une incroyable mosaïque de régimes, et un endettement assez important. Il convient donc de s’atteler très rapidement à la préparation de cette réforme.


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