La France en faillite !

Pascal Gobry, actuaire et auteur de "La grande Duperie" estime que la dette de la France s'élève en réalité à 3 000 milliards d'euros.

La commission installée par le ministre Breton, présidée par le banquier Pébereau, doit tout prochainement rendre publique la « véritable » dette de l'État. Le montant de cette vraie dette a « fuité » ce 29 novembre dans Le Figaro : ce serait plus de 2.000 milliards d’euros, et non 1.200 milliards comme communiqué par le ministre au Parlement dans le cadre de la préparation du budget 2006. Cette différence, déjà considérable, s’explique essentiellement par l’évaluation des engagements de retraite de l'État, non comptabilisés dans les documents budgétaires. Or, le calcul Pébereau sous-estime encore gravement les engagements de l'État : la dette ne l'État n’est pas d’un peu plus de 2.000 milliards, mais bien plus sûrement proche de 3.000 milliards. Soit pratiquement 200% du PIB. L’estimation des engagements en matière de retraites doit répondre à la question : et si tout s’arrêtait à la seconde, si on ne recrutait plus, si les gens en activité exigeaient soudain leur droit à retraite, et si on payait toutes leurs retraites aux déjà retraités, jusqu’à leur décès ? Combien cela coûterait-il ? Toute caisse de retraites procède régulièrement à ce genre de calcul, pour constituer des provisions. Les calculs de ces engagements, révisés régulièrement en fonction de qui est entré dans le régime, de qui part à la retraite et dans quelles conditions, de qui est mort, etc. constituent la dette qu’a contractée la caisse envers ses affiliés. Ce calcul est obligatoire pour toutes les caisses de retraite, et figure au passif de la caisse. Mais l'État ne procède jamais (sauf l’exception de la commission Pébereau) à ce calcul. L'État ne se donne pas la peine de publier un bilan. Pas de bilan, donc pas de passif, donc pas d’engagements au titre des retraites. Donc pas de réserves à constituer pour les retraites. Pas de publicité sur la vraie dette publique, deux fois et demi supérieure à celle communiquée au Parlement. Le roi ne doit pas paraître nu. Or, le mode du calcul de ses engagements par la commission Pébereau minore encore fortement la vraie dette de l'État. Même dans sa chambre, le roi répugne à se regarder dans la glace se déshabiller. La commission utilise en effet la même méthode d’évaluation que celle utilisée par les caisses de retraite du privé. Or, les engagements d’une caisse de retraites du privé sont bien inférieurs à ceux de l'État, puisque on ne sort pas du régime des fonctionnaires, sauf rares exceptions. Lorsque quelqu’un est embauché dans le privé, personne ne prend l’engagement de le payer, d’abord en salaires, puis en retraites, jusqu’à la fin de ses jours. L'État, si. Le jour même du recrutement par l'État d’un nouvel agent, l'État prend deux types d’engagements envers lui, qui majorent largement ses obligations par rapport à celles d’une caisse du privé : l'État en effet prend l’engagement de servir au nouvel agent des traitements jusqu’à son départ à la retraite, et ensuite de lui servir une pension jusqu’à son décès. Et si le fonctionnaire se marie un jour (si ce n’est déjà fait), de continuer à servir une rente à sa veuve (le cas échéant). Or, le calcul de la commission Pébereau, inspiré des pratiques du privé, fait l’impasse sur ces engagements considérables de l'État, d’abord en matière de salaires, et surtout pour ce qui nous concerne la retraite. Jean-Marie a vingt-deux ans. Il vient d’être embauché dans le privé, c’est son premier job. Il dépend du régime général, il commence à cotiser, et son patron aussi, pour avoir droit à une retraite un jour. Le lendemain de son embauche, la caisse d’assurance vieillesse calcule la contrepartie d’un jour de cotisation de Jean-Marie et de son patron. Ce jour de cotisation lui donnera droit, dans quarante ans, à un petit morceau de retraite. Disons, pour fixer les idées, un jour de cotisation donne droit à une retraite pleine divisée par quarante, divisée encore par 365. Philippe, lui, vingt-deux ans aussi, vient de réussir le concours d’agent administratif. Il entre dans le régime de retraite des fonctionnaires. Le lendemain de son recrutement, si l'État devait calculer l’engagement retraite qu’il a pris envers Philippe, il ne devrait pas faire comme la caisse de retraite de Jean-Marie. Le lendemain de son recrutement en effet, Philippe a le droit à un salaire puis une pension complète dans quarante ans (sauf exceptions et accident, nous regardons ici le cas général), et ce jusqu’à la fin de ses jours. On ne peut donc pas calculer les droits de Philippe comme ceux de Jean-Marie, car ceux de Philippe, après un jour de travail, sont considérablement supérieurs à ceux de Jean-Marie. C’est pourtant ce que font les experts de la commission Pébereau. Serge a dix-sept ans et demi. Il vient de s’engager dans la Légion. Il est prévu qu’il passera sept ans et demi sur les théâtres d’opérations extérieures de la France. Ensuite, il pourra quitter l’armée à vingt-six ans, avec un droit à pension jusqu’à la fin de ses jours, qui commencera à cinq cents euros mais doublera tous les trente ans, soit deux mille euros à quatre-vingt-six ans. Si à soixante ans il épouse une jeunette de trente ans, ce droit à pension sera reversé sur elle dès la mort de Serge, cela peut durer encore soixante ans de plus. Récapitulons : le jour où l'État engage Serge, il s’oblige financièrement sur cent vingt ans. Il s’oblige sur des montants colossaux. Cette obligation n’apparaît nulle part, dans aucune comptabilité publique. Et si quelque commission de Bercy fait des estimations de ce à quoi s’est obligé l'État en engageant Serge, elle minorera considérablement le calcul, en faisant comme si Serge pouvait être renvoyé du jour au lendemain avec un semblant de retraite. Alors que dans la réalité l'État devra payer Serge jusqu’à sa mort, et même jusqu’à la mort de n’importe qui aura l’heur de l’épouser. Il faut avoir à l’esprit cette grande différence quand on regarde les calculs que publie la commission Pébereau sur les engagements de l'État en matière de retraite, tout en occultant ses vrais engagements en matière de salaires. Car l'État calcule comme dans le privé, alors qu’en réalité, les engagements que prend l'État sont incomparablement plus lourds que dans le privé, et sa méthode de calcul, copiée sur le privé, ne le prend pas en compte. L'État fait des calculs, copiés du privé. Mais le privé, lui, à partir de ses calculs, constitue des réserves, qu’il met en face de ses engagements. L'État fait des calculs très minorés, mais ne constitue aucune réserve. Il fait simplement voter par le Parlement un budget pour honorer la charge courante des retraites, mais il fait comme s’il n’aura jamais à payer les salaires et les retraites des années suivantes. La faillite est la situation d’une institution pour laquelle on arrêterait tout, et on lui dirait : maintenant, vous payez tout ce que vous devez, et pour y arriver, vous avez le droit de vendre tout ce qui est en votre possession. Si l’institution n’y parvient pas, elle est dite en faillite. En face de sa dette de 3.000 milliards d’euros, au bas mot, à inscrire à son passif, l'État devrait pouvoir mettre ses actifs, les plus gros sont immobiliers (le château de Versailles, la tour Eiffel, etc. ). Mais c’est largement insuffisant : d’après nos estimations le « capital social » de l'État devrait être négatif, ce qui signifie qu’au fil des ans l'État a pris plus d’engagements qu’il n’en a les moyens. Ce qui est une autre manière de dire : notre État est en faillite. Même s’il vendait à des Japonais au prix fort le château de Versailles, la tour Eiffel, le musée du Louvre, tout son patrimoine, l'État français ne pourrait honorer ses engagements de retraite et de salaires. Le roi est complètement nu.

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