Retraites à l’étranger : les fraudes s'accumulent

Le dernier rapport annuel de la Cour des comptes revient sur le problème des fraudes aux retraites versées à l’étranger, dont les cotisants et retraités français font les frais.

Ce scandale, soulevé une première fois en 2010, était revenu en force sur la table en 2019, en grande partie grâce à Sauvegarde Retraites. Les régimes gestionnaires des retraites du privé avaient alors affirmé que toutes les mesures avaient été prises pour y mettre fin. Six ans plus tard, on constate qu’il n’en est rien.

Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes souligne « l’importance des enjeux financiers, concentrés dans quelques pays » où vivent 77 % des retraités affiliés aux régimes de retraite français mais résidant à l’étranger, notamment en Belgique, au Portugal, en Espagne, en Italie, en Israël, en Tunisie, au Maroc et, surtout, en Algérie. Les fraudes concernent en majorité ce dernier pays, où demeurent 31 % des retraités résidant à l’étranger.

Quelques chiffres permettent de prendre la pleine mesure de ces enjeux lourds de conséquences pour les régimes de retraite français (et, par conséquent, leurs affiliés) :

  • 1,1 million de personnes résidant à l’étranger perçoivent une pension du régime général et 900 000 de l’AGIRC-ARRCO, ce qui représente 7 % du nombre de retraités de ces régimes
  • Le montant total des retraites qui leur sont versées s’est élevé en 2022 à 3,9 milliards d’euros pour le régime général et à 2 milliards d’euros pour l’AGIRC-ARRCO ;
  • Le montant des indus (montants versés à tort) sur ces pensions de retraite représente 28 % de ceux du régime général et 10 % de ceux de l’AGIRC-ARRCO.

Les arnaques sur les pensions de retraite versées à l’étranger prennent des formes différentes. En tête, figure l’absence de déclaration du décès d’un retraité dont les proches continuent indument à percevoir la pension. Ce type de fraude explique la proportion anormalement élevée de retraités âgés de 80 à 89 ans et de centenaires supposés résidant à l’étranger, par rapport à ceux résidant en France. En Algérie, par exemple, « les contrôles exigeant la présence physique des pensionnés montrent que, parmi les pensionnés d’une classe d’âge donnée dont 10 % ont été convoqués, les décès constatés n’avaient pas été déclarés à la Cnav dans près d’un cas sur deux (44 %) ». En outre, on peut soupçonner que certains assurés qui ne se sont pas présentés à la convocation étaient décédés. Par extrapolation, la Cour estime que les fautes ou fraudes au décès en Algérie coûtent entre 40 et 80 millions d’euros par an au régime général et à l’AGIRC-ARRCO. Pour le Maroc, l’estimation est de l’ordre de 12 millions d’euros.

D’autres tromperies concernent l’utilisation frauduleuse ou la falsification de documents d’identité ou de pièces justificatives (par exemple pour capter les droits à la retraite d’autres assurés ou maquiller les preuves d’existence adressées aux régimes de retraite) ou les fraudes relatives aux comptes bancaires ou encore, l’absence de déclaration aux caisses de retraites du départ et de l’installation à l’étranger de retraités, qui continuent de percevoir l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), conditionnée en principe à la résidence en France. Ce dernier type d’arnaque « représente une part importante des préjudices détectés par la branche vieillesse », observe la Cour.

Un manque criant de volonté de mettre fin aux fraudes

Pourtant, « face à ces risques, les régimes de retraite ont mis en place des moyens de maîtrise adaptés et différenciés selon les pays, qui restent toutefois à développer et à améliorer », constatent encore les magistrats, familiers de l’euphémisme. En clair, cela signifie que les moyens mis en œuvre pour lutter contre les fraudes sont largement insuffisants ! Il n’y a pas de réelle volonté d’y mettre fin.

En effet, les contrôles sont confiés soit aux consulats (notamment « lorsque les autorités locales ne présentent pas toutes les garanties nécessaires »), soit à des partenaires locaux (caisse de retraite, établissement bancaire), dont la fiabilité est loin d’être garantie (« les contrôles réalisés au consulat de France à Alger [sont] de meilleure qualité que ceux du réseau des agences bancaires », note la Cour). En outre, « la possibilité de se faire représenter (…) est autorisée par les partenaires locaux sur présentation d’un certificat médical ou par une procuration au profit d’un tiers, ce qui constitue une faiblesse du dispositif ».

Par ailleurs, les contrôles sont loin d’être systématiques : entre 2020 et 2023, moins de 3 % des résidents (soit 2 500) percevant une retraite française au Maroc et à peine plus d’1 % de ceux résidant en Algérie, ont été contrôlés, que ce soit par les consulats ou les partenaires locaux. C’est peu !

Les suites données à ces contrôles ne sont pas non plus satisfaisantes. Ainsi, ceux qui ont été effectués au Maroc en 2022 et 2023 n’ont donné lieu à aucune suspension de paiement par la Cnav, ce qui affaiblit leur portée et appelle une correction, estime la Cour des comptes : « l’arrêt des paiements aurait permis de mettre à jour davantage de situations de décès non déclarés et de réduire le préjudice financier résultant des versements correspondants ».

En outre, en cas de suspension des droits d’un assuré, les procédures de réouverture éventuelle ne sont pas arrêtées : en Algérie, la décision de reconvoquer un assuré qui n’a pas répondu à la première demande de convocation est laissée à la discrétion de l’AGIRC-ARRCO, sans consultation des autres régimes. Or, la caisse complémentaire ne reconvoque pas systématiquement les retraités défaillants, et se contente alors de demander le renvoi de pièces justificatives de leur existence. C’est très nettement insuffisant ! « L’intensification à venir des contrôles et des réclamations pourrait conduire à ce que le versement de leurs pensions aux assurés soit remis en place par les régimes sans concertation et selon des procédures moins exigeantes de vérification de leur existence », avertit la Cour. Autrement dit, les fraudes seraient entérinées.

Ainsi, en dépit d’une prise de conscience de ces abus et « malgré des enjeux significatifs, les fraudes ne font toujours pas l’objet d’une estimation par les régimes, non plus que le niveau d’erreurs affectant les pensions versées à des résidents à l’étranger », conclut le rapport. Cette inertie des gestionnaires des régimes et de l’État est complètement inacceptable. Avant de demander de nouveaux efforts aux cotisants et retraités, il serait grand temps de nettoyer ces écuries d’Augias !


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