Les jeunes au front et les « vieux » au travail ?
Qui l’eut cru ? Voici que le débat sur la guerre en Ukraine vient alimenter celui sur… les retraites. Patrick Martin, le patron du Medef, a en effet suggéré de « reporter à 70 ans l’âge de départ à la retraite pour que l’économie finance l’effort de guerre ». D’une certaine manière, il faudrait visser les « vieux » au travail pour permettre d’envoyer les jeunes au front… Sans surprise, la sortie de Patrick Martin déplaît fortement aux syndicats de salariés et le patron des patrons a dû amorcer un léger rétropédalage. L’affaire prêterait à sourire si elle n’était pas révélatrice de la manière dont le paritarisme français demeure englué dans de faux débats, laissant en jachère les véritables enjeux – une réforme structurelle du système de retraite et la fin des régimes spéciaux – pour préférer le théâtre convenu des sempiternelles discussions paramétriques.
Bien sûr, il est aujourd’hui nécessaire de travailler plus longtemps qu’avant. Bien sûr encore, une augmentation de l’âge de départ occasionnerait mathématiquement des économies sur les dépenses de retraite. Cependant, la cristallisation du débat sur le totem de l’âge légal constitue un artifice. La vraie nécessité est de réformer notre système sur la base de la liberté et de l’équité. La notion d’âge légal prive de facto les affiliés de la liberté élémentaire de choisir les grandes orientations de leur vie, lesquelles se trouvent décidées d’autorité par l’État.
Des âges pivot plutôt qu’un âge légal
Or il est tout à fait possible de laisser – sans préjudice pour les finances des caisses – les affiliés choisir leur âge de départ en appliquant le principe de « neutralité actuarielle ». Auteur de nombreuses études pour Sauvegarde retraites, Jacques Bichot recommande depuis plus de 10 ans de s’inspirer de la Suède, de l’Allemagne ou encore des États-Unis pour laisser la liberté de choix en instaurant des âges pivots servant au calcul de la pension. Il en expliquait ainsi le principe en 2016 :
« Le montant qui serait celui de la pension en cas de liquidation à l’âge pivot est multiplié par un coefficient (dit actuariel) calculé de telle façon que la charge pour la caisse de retraite soit indépendante de l’âge auquel l’assuré social choisit de la liquider. Vous voulez votre pension dès 60 ans ? Libre à vous, mais ce ne sera pas aux dépens des autres assurés sociaux : l’arrérage mensuel sera plus modeste, puisque vous le percevrez plus longtemps. Vous préférez attendre 70 ans ? Libre à vous, et vous ne serez pas le dindon de la farce : le montant mensuel de la pension sera plus élevé puisque vous la percevrez moins longtemps. En termes savants cela s’appelle "neutralité actuarielle" c’est le moyen de concilier la liberté individuelle et l’équité. »
Les « partenaires sociaux » feraient bien de cesser de jouer leur lassant théâtre d’ombre pour s’intéresser enfin à une véritable réforme des retraites fondée sur l’équité et – notion totalement absente des débats – la liberté.