La suppression de l’abattement fiscal : une mesure douloureuse qui ne règle rien

Quand un politicien prétend parler en vérité, il a déjà commencé à mentir. Le 15 juillet, François Bayrou s’est présenté en sauveur de l’économie française, exposant aux Français une situation économique catastrophique pour les appeler à des efforts et proposer des solutions nouvelles. En réalité, il a accumulé les truismes (« le déficit, c’est purement et simplement de la dette », « nous sommes devenus accros à la dépense publique » et autres évidences) et envisagé en guise de solution de recourir à de vieilles ficelles que les gouvernements successifs agitent depuis des années. En revanche, il n’a pas dit un mot des réformes indispensables auxquelles il faudrait procéder d’urgence, notamment en matière de retraites.
« Être obligé d'emprunter tous les mois pour payer les retraites ou payer les salaires des fonctionnaires, c'est une malédiction qui n'a pas d'issue », a-t-il dit. En fait de « malédiction », il s’agit d’un choix délibéré qu’ont fait les gouvernements successifs, jusqu’au « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron. L’État emprunte, en effet, pour payer les traitements et les pensions d’agents publics dont le nombre n’a pas cessé d’augmenter (de 23 % entre 1997 et 2022 pour les trois fonctions publiques) et aussi, dans de moindres proportions, pour financer le déficit du régime général (de base) des salariés du privé, qu’il gère très mal.
En toute logique, pour assainir les finances publiques, il faudrait commencer par supprimer les régimes spéciaux du secteur public, notamment ceux des fonctionnaires mais ni le gouvernement, ni les organisations professionnelles qui avait été réunies en « conclave » à la demande de François Bayrou pour trouver des solutions alternatives à la réforme Borne, ne veulent en entendre parler.
Le Premier ministre parle pourtant d’une « reconfiguration de notre système social », dont il voudrait « refonder [le] modèle de financement en cherchant d’autres bases pour le financer que le travail ». Faut-il comprendre qu’il songe à introduire dans le financement des retraites une part de capitalisation ? Il ne le précise pas, même du bout des lèvres, et se contente d’évoquer un « basculement d’assiettes »…
Sans une vraie réforme, les mesures annoncées par le gouvernement, aussi douloureuses soient-elles pour les retraités, ne règleront rien. François Bayrou propose notamment de supprimer l’abattement fiscal de 10 % (plafonné à 4 399 euros par foyer), et de le remplacer par une déduction « forfaitaire » de 2 000 euros par personne.
Concernant cette suppression, François Bayrou accumule d’ailleurs les contre-vérités :
- Il prétend que seule les « grosses » retraites seront concernées et se défend, comme toujours, de pénaliser les « petites ». Mais qu’est-ce qu’une « petite » retraite ? Et en quoi serait-il légitime de pénaliser les autres ? La suppression de l’abattement fiscal touchera les retraités percevant une pension de 20 000 euros par an – soit environ 1 667 euros par mois. Faut-il parler de nababs ?
- Il assimile cet abattement fiscal à des « avantages pour frais professionnels », alors qu’il s’agit depuis l’origine d’une (faible) compensation de la baisse des revenus consécutive au départ à la retraite (surtout pour les affiliés aux régimes du privé, puisque dans le secteur public le niveau de la pension est garanti à 75 % au minimum du dernier traitement, la non prise en compte des primes étant compensée par divers mécanismes).
- Il assure qu’il n’y aura pas de baisse des pensions de retraite, ni de hausse d’impôts. Or, la suppression de l’abattement fiscal aboutit en soi à une augmentation de l’impôt et aura pour conséquence d’assujettir à la CSG, à la CRDS et à la CASA certains retraités qui ne l’étaient pas ou qui l’étaient à taux réduit – ce qui se traduira de facto par une diminution de leur pension.
- Il affirme, enfin, vouloir « un traitement plus juste, notamment pour les femmes dont la maternité est venue bousculer les carrières ». Or, la suppression de l’abattement fiscal produit l’effet inverse. En effet, il bénéficiait aux foyers, alors que le forfait de 2 000 euros concernera les personnes. Par conséquent, un foyer dont les deux conjoints perçoivent une pension de retraite profitera deux fois du forfait de 2000 euros; tandis qu’un couple dont un seul des conjoints perçoit une retraite (ce qui est notamment le cas lorsque la mère est restée au foyer pour élever les enfants, futurs cotisants) ne sera éligible qu’une fois au forfait. Pour la même raison, les veufs et les célibataires sont eux aussi pénalisés.
Autre nuage de fumée : François Bayrou annonce en 2026 une « année blanche », au cours de laquelle « on n'augmente plus ni les prestations, ni les barèmes » et « on aura exactement le même montant des retraites pour chaque pensionné que celle qu'on avait en 2025 ». Les Français concernés, ajoute-t-il, « seront aidés dans cet effort par la presque disparition de l'inflation », qui « est prévue cette année à 1 % ou un peu moins de 1 %. Ce qui veut dire que les retraites, dans leur montant, ne baisseront pas et qu'elles seront l'année prochaine maintenues au même montant que cette année. » À travers cette explication pour le moins confuse, le Premier ministre veut probablement signifier que le niveau de vie des retraités ne baissera pas, puisque le montant des retraites sera constant mais en réalité, il diminuera, puisque, comme l’indique François Bayrou lui-même, l’inflation n’est pas nulle. En outre, l’expérience montre qu’en matière d’inflation, les prévisions sont sujettes à caution.
Une fois de plus, le gouvernement tente d’entourlouper les Français. « Hannah Arendt disait qu'un peuple à qui on a cessé de dire la vérité ne peut plus rien croire », rappelle le Premier ministre. C’est sans doute pourquoi les dirigeants politiques, comme François Bayrou, ne sont plus crédibles.