Lettre ouverte à Charles de Courson après ses déclarations à « Sauvegarde Retraites »
Non, Monsieur le Rapporteur Général, les retraites ne pèsent pas 4 % dans le déficit global des administrations publiques en 2024, mais 44 %.
Vous comparez en effet un déficit des régimes obligatoires de retraite de base soumis au vote du Parlement de -6,3 Md€, au déficit global de l’État de -156 Md€ en 2024, soit 4 %.
Mais vous oubliez de dire que ce déficit de la branche vieillesse de la Sécurité sociale de -6,3 Md€, qui comprend les deux régimes de fonctionnaires, est considérablement minoré par :
-44 Md€ de sur-cotisations de l’État et de ses opérateurs, au taux de 98 % et bientôt de 102 %, très au-dessus des cotisations plafond des salariés en France au taux déjà élevé de 28 %. Est-ce qu’un tel concours au régime des pensions civiles et militaires de l’État, exorbitant du droit commun, ne participe pas intégralement au déficit public, masqué dans la masse salariale de la fonction publique de l’État, de ce fait très élevée ?
-8 Md€ de sur-cotisations des collectivités locales et des hôpitaux publics au taux de 43% et bientôt de 47 % au régime de la CNRACL, au-dessus des cotisations plafond des salariés en France au taux déjà élevé de 28 %. Est-ce que ces concours, exorbitants du droit commun, ne participent pas aussi intégralement au déficit public, masqué dans la masse salariale des collectivités locales et des hôpitaux publics, financés par l’assurance maladie ?
-8 Md€ de subventions de l’État aux régimes spéciaux déficitaires de la SNCF, de la RATP, des mines, des marins, des ouvriers de l’État et de quelques autres régimes …
-5 Md€ de subventions de l’État pour compenser, à l’égard de certains employeurs ou assurés (apprentis, heures supplémentaires, outre-mer, travail à domicile...), des exonérations ciblées de cotisations,
-15 Md€ de subventions des autres branches de la Sécurité sociale ou du régime chômage (famille, maladie, Unedic), qui n’ont rien à voir avec leurs prestations statutaires et qui, si elles ne finançaient pas le régime général de retraites des salariés (base et complémentaires), réduiraient le déficit de la Sécurité sociale.
Le fait de « loger » les besoins de financement de nos régimes obligatoires de retraites dans d’autres institutions (État, opérateurs de l’État, collectivités locales, caisse d’allocation familiale et Unedic, caisse d’assurance maladie), même s’il peut y avoir une justification dans chaque cas ( sujétions spéciales, avantages familiaux, solidarité chômeurs, allègements de cotisations trop élevées à 28 %), ne change rien au fait que ces concours pèsent intégralement sur les déficits des administrations publiques du fait du service des prestations de retraites obligatoires.
Et vous ne les comptez pas dans le déficit des retraites, alors que vous les connaissez bien. Comme tous les gouvernements successifs, vous jouez sur le fait que nos comptes publics, tels qu’ils résultent de la LOLF 2001-2006 et du vote des LFSS, sont présentés de manière désuète et inopérante pour la compréhension des enjeux financiers, car ils
- ne distinguent pas les subventions massives reçues par les régimes de fonctionnaires en les appelant à tort cotisations et en les comptabilisant dans les couts salariaux de l’État ;
- ne fournissent pas la contribution des branches de la Sécurité sociale au déficit consolidé des administrations publiques, puisque leur solde est établi après et non avant les subventions reçues d’autres administrations publiques.
Vous avez tout à fait raison, Monsieur le Rapporteur Général, de dire que ce poids considérable des retraites ne pourra se résorber dans le temps qu’avec une nouvelle et vraie réforme de structure. Et vous en tracez à juste titre les lignes directrices incontournables.
Mais, comme pour la dernière réforme à laquelle vous vous êtes opposé avec le groupe LIOT, personne n’arrivera à convaincre nos concitoyens de la nécessité d’une réforme si la représentation nationale et l’opinion publique n’ont pas conscience du fait que les retraites contribuent à la moitié de la dette publique additionnelle de 1000 Md€ depuis 2016 et que les finances publiques ne pourront pas se redresser sans un infléchissement sérieux de la trajectoire du quart de nos dépenses publiques, celles des retraites.
D’autres pays l’ont fait et pour autant n’ont pas privé les retraités d’un revenu mérité et de la solidarité de la nation.
Bien à vous,
Jean-Pascal Beaufret
3 décembre 2024