Déficit des retraites : le tabou craque
S’exprimant le 28 mars devant la MECSS (1) de l’Assemblée nationale, le professeur Rémi Pellet, éminent spécialiste des finances sociales et membre du Conseil des prélèvements obligatoires, a jeté un pavé dans le marigot des retraites en déclarant que la dette sociale portée par la CADES (2) est sous-estimée de près de 60 milliards d’euros par an, « du fait des prétendus taux de cotisation employeur dans les régimes publics de retraite ».
Ce constat corrobore celui du Commissariat au plan dans son rapport de décembre 2022, qui faisait état de 46 milliards d’euros de " sur-cotisations ", qui sont en réalité des subventions déguisées, versées par les collectivités publiques (Etat, établissements publics, collectivités locales, hôpitaux publics) à ces régimes spéciaux de retraite pour " équilibrer " financièrement leur budget aux frais des contribuables – et camoufler ainsi le déficit abyssal du système de retraite, creusé par ces régimes.
Les observations du professeur Pellet rejoignent aussi celles de l’ancien Inspecteur général des finances Jean-Pascal Beaufret, qui fait état d’un déficit récurrent des retraites de 68 milliards d’euros en 2022, résultant principalement des régimes spéciaux (celui des fonctionnaires est " équilibré " par une subvention annuelle de l’ordre de 40 milliards d’euros ! (Voir à ce sujet le dernier bulletin de Sauvegarde Retraites, daté de mars 2024.)
Ces spécialistes des finances publiques confirment hélas le bien-fondé des analyses et des avertissement publiés depuis longtemps par notre association, contre le discours officiel que développait notamment le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), service dépendant du gouvernement. Ainsi, Pierre-Edouard du Cray, directeur des études de Sauvegarde Retraites, estimait-il en février 2023, dans Le Point, que le besoin de financement des retraites avoisinait en 2021 65,1 milliards, alors que le COR évoquait un excédent budgétaire de 900 millions d'euros ! Dans son programme présidentiel, Emmanuel Macron affirmait ainsi que « le problème des retraites n’est plus un problème financier »â€¯et Jean-Paul Delevoye, Haut-Commissaire chargé de la réforme des retraites, renchérissait en mai 2018, en assurant que le régime de retraite français était « proche de l’équilibre ».
Aujourd’hui, le tabou craque et le roi est nu. Les annonces démesurément optimistes du COR, discrédité, ne parviennent plus à dissimuler la réalité du déficit abyssal du système, en dépit de la réforme Borne qui a reculé de deux ans l’âge de départ à la retraite, sans rien régler sur le fond, ni toucher aux régimes spéciaux des fonctionnaires. À défaut, le gouvernement veut financer les ruineux avantages de ses agents en vampirisant les caisses du régime de retraite complémentaire du privé, Agirc-Arrco, dont le budget est à l’équilibre grâce aux sacrifices très importants consentis par ses affiliés depuis des décennies. Au mépris de l’équité et de la justice promises par le président de la République en 2017.