Régimes spéciaux : supprimer n’est pas fermer !

La droite sénatoriale voudrait « accélérer » la disparition des régimes spéciaux. La solution : leur suppression.

Les régimes spéciaux deviendront-ils la « quadrature du cercle » de la réforme des retraites ? Le gouvernement a fait de leur pseudo-fermeture l’un des arguments de sa communication, tout en prenant soin d’exclure de la mesure les principaux d’entre eux, qui sont ceux de la fonction publique. En effet, selon une propagande d’Etat instillée depuis plusieurs années, les seuls régimes dits « spéciaux » seraient ceux des entreprises publiques mais en réalité, les principaux sont ceux des trois fonctions publiques. Or, dans son projet de réforme, le gouvernement n’envisage pas de fermer ces régimes spéciaux des fonctionnaires – ce qui en limite considérablement la portée.

Dans Le Parisien du 26 février, le sénateur Bruno Retailleau (LR) a suggéré d’« accélérer la convergence des régimes spéciaux sur le régime général dès 2025 ». Mais parle-t-il seulement de ceux des entreprises publiques, ou aussi de ceux de la fonction publique ? Par ailleurs, s’agit-il de supprimer ces régimes spéciaux, ou de les fermer ? Les deux options sont très différentes.

Le gouvernement annonce, en effet, une fermeture des régimes spéciaux des entreprises publiques, sur le modèle de celle du régime de la SNCF, intervenue le 1er janvier 2020. Tous les cheminots recrutés avant cette date continuent à jouir des bénéfices extraordinaires assurés par ce régime spécial, selon la clause dite « du grand-père ». De la sorte, le régime ne disparaîtra véritablement qu’au siècle prochain. Quant aux agents embauchés à partir du 1er janvier 2020, ils sont théoriquement affiliés au régime de droit commun, mais restent gérés par le régime spécial de la SNCF – auquel les régimes du privé (Cnav et complémentaires Agirc-Arrco) versent une soulte, financée par leurs affiliés. Ainsi une partie des cotisations prélevées sur les actifs du secteur privé sert-elle à financer les avantages servis aux cheminots par leur régime spécial ! En outre, tout indique que les nouveaux embauchés eux-mêmes continueront à jouir d’avantages équivalents (probablement à la faveur d’un régime interne d’entreprise).

À l’inverse, une suppression des régimes spéciaux en 2025 signifierait la fin immédiate de ces avantages injustifiés. La différence est de taille !

La proposition du sénateur Retailleau a été diversement accueillie au sein du gouvernement. Sur BFMTV, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a répondu : « Pourquoi pas ? », tandis qu’Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a déclaré qu’« on ne change pas les règles du jeu en cours ». Cet argument fallacieux avait déjà été avancé sous le gouvernement d’Edouard Philippe, pour justifier – déjà ! – le recours à la clause du grand-père. Mais, d’une part, ces prétendues « règles du jeu » n’ont aucun fondement juridique et, d’autre part, l’Etat n’a jamais hésité à bouleverser du jour au lendemain celles qui régissent les régimes du privé – comme l’avait fait, par exemple, le gouvernement Balladur en 1993. Pourquoi en irait-il différemment des régimes spéciaux du secteur public, structurellement déficitaires et financés par l’ensemble des contribuables ?

Les réponses d’Olivier Dussopt et d’Olivier Véran ne sont évidemment pas dissociables du contexte politique et des négociations en cours avec les syndicats. La surenchère du ministre du Travail est contrebalancée par les atermoiements du porte-parole du gouvernement, probablement en fonction de la stratégie établie par le premier ministre Elisabeth Borne, qui pourrait souffler le chaud et le froid en direction des syndicats.

Reste qu’Emmanuel Macron a récemment souhaité que le Sénat « puisse enrichir » le projet de réforme gouvernemental « avec ce qui lui paraît utile ». Chiche ! Nous attendons des sénateurs qu’ils osent aller au bout de la proposition de Bruno Retailleau, en introduisant dans la réforme la suppression pure et simple des régimes spéciaux, à commencer par ceux de la fonction publique.


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