Âge de la retraite : les risques d'une réforme « pschitt » !

Le relèvement de l'âge légal de la retraite n'est pas forcément LA solution. Ce qui importe vraiment c'est l'âge effectif auquel les affiliés prennent leur retraite et la corrélation entre l'effort contributif des affiliés et leurs droits à la retraite

Face au défit du financement de la vieillesse et en particulier de la retraite, il semble -à tort- qu'il n'y ait qu'une seule solution : relever à nouveau l'âge de la retraite de 62 à 64, voire 65 ans. Pour beaucoup d'observateurs de la question sociale, cette mesure semble inévitable.

En France, les retraites sont gérées en très grande partie par répartition et les rapports démographiques de tous les régimes plongent (ex : de 4 cotisants pour 1 retraité dans les années 1960, le régime général des salariés comptera bientôt à peine plus d’1 cotisant pour 1 retraité, si l’on compte les pensions de réversion…). Dans ce contexte, il est donc évident qu’il faut travailler plus longtemps (1). Sur ce point, l’on peut s’accorder. Toute idée contraire relève malheureusement de l’utopie ou du cynisme… Pour autant, l’idée que l’obligation de travailler plus longtemps se traduise fatalement par un relèvement de l’âge l’égal de la retraite, est à la fois réductrice et contestable.

Certes, relever l’âge légal est en théorie un ressort puissant pour l’équilibre des caisses de retraite. Cela diminue potentiellement le nombre de pensionnés, tout en augmentant le nombre de cotisants. En clair, c’est moins de dépenses et plus de recettes…

Toutefois, la succession des réformes passées n’a cessé d’augmenter la durée de carrière nécessaire pour valider une retraite à taux plein, de 37,5 annuités nous sommes passés à 43 pour les générations nées après 1973… Beaucoup d’actifs sont donc déjà concernés et, demain, tous le seront. Par conséquent, ces générations devront travailler bien plus longtemps que les précédentes, sous peine que leur pension soit non seulement amputée des annuités ou trimestres manquants, mais subisse en plus l’effet très pénalisant des décotes. Un cadre qui a intégré la vie active à l’âge de 24 ans devra donc mécaniquement travailler jusqu’à 67 ans, au moins. Quant à ceux qui ont commencé leur vie professionnelle plus tôt et qui, souvent, ont accompli des tâches physiques, il ne semble pas totalement scandaleux qu’ils puissent décrocher plus tôt, s’ils ont déjà travaillé 43 ans et suffisamment cotisé. Autrement dit, avec l’allongement de la durée de carrière qui a été entériné, le ressort du recul de l’âge légal de la retraite a considérablement perdu de sa puissance. Il s’apparente donc plus à une redondance qu’à un remède miracle…

Par ailleurs, l’un des arguments les plus forts des partisans du recul de l’âge légal consiste à pointer les exemples étrangers. À les entendre, l’âge légal de la retraite serait anormalement bas en France, alors que nos voisins européens auraient pris le taureau par les cornes : 67 ans en Allemagne, 67 ans en Suède, etc.

Ces comparaisons relèvent trop souvent d’une lecture partielle des chiffres de l’OCDE. Les âges comparés, ne sont pas forcément comparables. Tous les systèmes de retraite ne s’articulent pas autour des mêmes mécanismes et ne sont donc pas en tout point transposables. Par exemple, 67 ans en Suède n’est pas tant l’âge légal de la retraite qu’un âge référence, âge auquel aucun coefficient minorant ou majorant le calcul de la pension ne s’applique. En réalité, cet âge référence s’apparente plus (sans être identique) à l’âge pivot de nos régimes de retraite, auquel les éventuelles décotes cessent de s’appliquer si les intéressés n’ont pas validé une carrière complète. L’équivalent de notre âge légal de la retraite, en Suède, est de 62 ans. Mieux, lors de la grande réforme systémique de la fin des années 1990, il a été abaissé de 64 ans à 61 ans (depuis, il a été relevé d’un an). Il faut donc comparer ce qui est comparable…

Ce qui compte, en réalité, c’est l’âge effectif auquel les affiliés prennent leur retraite et, surtout, le mode de détermination des droits à la retraite. Pour reprendre l’exemple suédois, l’âge légal de la retraite a beau avoir été abaissé, l’activité des seniors n’a cessé d’augmenter après la réforme, l’âge effectif de la retraite dépassant aujourd’hui 65 ans. Cela démontre, là encore, que l’âge légal n’est pas forcément un élément déterminant de la gestion des caisses, loin de là.

Le plus important, c’est qu’il y ait une réelle corrélation, un lien direct et proportionnel, entre l’effort contributif des affiliés et les droits qu’ils peuvent acquérir. Ce lien, s’il est établi, a deux grands avantages :

  • il permet d’établir une réelle équité entre les affiliés, quels que soient leur condition ou leur statut, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui
  • il donne les moyens aux gestionnaires de préserver l’équilibre financier des régimes dont ils ont la charge, ce qui, dans un système en répartition, représente le minimum de justice et de rigueur que l’on puisse s’imposer vis-à-vis des jeunes générations. En clair, les droits à la retraite sont fixés au moment de la liquidation, en fonction des cotisations prélevées, et non plus en fonction des promesses accumulées par le passé pendant plus de quarante ans…

Les régimes des professions libérales et les régimes complémentaires des salariés fonctionnent depuis longtemps sur ce principe le régime général des salariés du privé (CNAV), seulement partiellement et les régimes spéciaux du secteur public pas du tout. C’est donc sur ces derniers qu’il faut concentrer la réforme.

Se focaliser sur le relèvement de l’âge légal, c’est l’assurance de s’empêtrer demain dans des négociations inextricables sur la pénibilité, pour toutes les catégories socio-professionnelles qui exercent des tâches physiques. Ce sera alors la garantie d’une déconvenue financière… L’histoire des réformes des retraites est là pour nous le rappeler, puisque depuis leur entrée en vigueur en 2004, les dispositifs « pénibilité » ont toujours été mal maîtrisés et ont très largement compromis l’équilibre des réformes.

Relever coûte que coûte l’âge légal de la retraite, c’est également renoncer à nos toutes dernières libertés. Aujourd’hui, le collectivisme du tout répartition fait que les affiliés n’ont ni le choix de leur affiliation, (choix d’être affilié ou non et choix de leur régime), ni celui du montant de leur cotisation et de l’étendue de leur couverture. Il ne nous reste donc plus que la maigre possibilité de choisir le moment de notre retraite (et encore, pour beaucoup dans le cadre d’une fenêtre relativement étroite…). Or demain, si l’âge légal est relevé, ce sera, là encore, l’État-providence qui choisira le jour et l’heure à notre place…

Conscient de la rigidité et de l’archaïsme du système de retraite français, on nous promettait, il y a encore quelques années, la retraite « à la carte ». Désormais, on s’oriente beaucoup plus vers la retraite « à la schlague ». Sans pour autant sauver les retraites… Un comble !

[1] Non seulement, l’espérance de vie n’a cessé de s’allonger (ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle…) mais le baby-boom conjoncturel lié à l’euphorie d’après-Guerre n’a pas eu de lendemain, bien au contraire.


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