La vraie-fausse fermeture du régime spécial de la SNCF

Selon la loi votée en 2018, le régime spécial de la SNCF est fermé. En réalité, la caisse qui le régit (CPRP SNCF) continuera de gérer les nouveaux embauchés. Et les régimes du privé lui versent une soulte !

Officiellement la loi « Nouveau pacte ferroviaire », votée en 2018, a fermé le régime spécial de la SNCF à partir du 1er janvier 2020. Autrement dit, les agents recrutés avant cette date resteraient sous statut et bénéficieraient du régime spécial et de ses nombreux avantages*, tandis que ceux embauchés postérieurement seraient gérées par le régime général (CNAV) et la complémentaire du privé AGIRC-ARRCO. Quant au régime spécial, il devrait disparaître à la mort du dernier cheminot recruté avant 2020, c’est-à-dire aux alentours du XXIIème siècle !

Voilà pour la théorie mais la réalité pourrait bien s’avérer très différente.

Un article paru en juillet 2020 dans la Lettre du cheminot (publication dépendant du groupe La Vie du Rail) avait déjà levé le lièvre. On y lisait que « le gouvernement a tranché : la CPRP SNCF (assurance maladie, pensions de retraite) va devenir la caisse de branche pour tous les salariés du ferroviaire, aussi bien ceux relevant du régime spécial de la SNCF que ceux affiliés au régime général ».

Le même article précisait que le gouvernement avait retenu une proposition figurant dans un rapport publié en septembre 2019 par l’IGAS-CGEDD**, prévoyait que la Caisse de Prévoyance et de Retraite du Personnel de la SNCF (CPRP) – qui administre le régime spécial – gérerait la couverture santé de tous les salariés de la branche ferroviaire, embauchés au statut ou pas. Le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, interrogé en décembre 2020 par la Commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, a confirmé que le gouvernement examinait le texte transformant la CPRP SNCF en caisse de branche.

Les syndicats attachés à la défense du régime spécial peuvent s’en réjouir. Ainsi, l’Unsa-Ferroviaire, favorable à une Caisse unique pour tous les cheminots sous l’égide de la CPRP, s’est félicité, dans un communiqué de presse daté du 26 mai 2021, de l’engagement souscrit par le ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, de faire de la CPRP SNCF, « sous la marque " caisse de branche ", l’unique interlocutrice pour tous les salariés et tous les employeurs de la branche ferroviaire » *. (Le ministre aurait aussi garanti le maintien de la gouvernance actuelle de la CPRP.) Comme le soulignent les syndicats, cette transformation en caisse de branche pérennise le régime spécial de la SNCF, dont la prétendue fermeture apparaît donc comme une nouvelle entourloupe.

Pour l’instant, la CPRP constituée en caisse de branche ne devrait gérer que la couverture maladie mais les syndicats souhaitent y ajouter la gestion des retraites de l’ensemble du personnel de la filière ferroviaire, sous statut ou pas. L’Etat, sans doute échaudé par les polémiques qui avaient suivi la dénonciation par Sauvegarde Retraites d’arnaques similaires (régime spécial des industries électriques et gazières, affaire de l’IRCANTEC…) pourrait procéder par étapes et plus discrètement pour leur donner satisfaction.

Si cette crainte se confirme, il faut s’attendre à quelques beaux tours de passe-passe au cours des mois qui viennent. Les réformes passées ont montré l’ingéniosité dont font montre les technocrates pour préserver et même accroître les privilèges des bénéficiaires des régimes spéciaux comme ce fut le cas lors de la suppression de la « bonification de traction » dont bénéficiaient les agents de conduite (conducteurs de train), jusqu’à la réforme de 2008. Cette bonification, qui leur permettait de partir à la retraite plus tôt avec le taux plein, a cessé d’être octroyée aux agents embauchés après le 31 décembre 2008 mais cette suppression a été largement compensée par la mise en place d’un avenant au Comte épargne temps, grâce auquel les nouveaux recrutés peuvent toujours partir plus tôt sans décote, et par la création d’un régime supplémentaire de retraite, financé à 100 % par l’employeur (c’est-à-dire in fine par le contribuable), qui s’ajoute au régime spécial.

Un dispositif comparable, interne à l’entreprise, s’appliquera-t-il aux personnels embauchés depuis 2020, qui ne bénéficient plus du statut, ni du régime spécial proprement dit ? Cette vraie-fausse fermeture du régime spécial de la SNCF serait alors une magistrale supercherie aux frais des affiliés aux régimes du secteur privé ! En effet, les régimes du privé versent depuis 2020 une soulte au régime spécial de la SNCF, pour compenser le prétendu manque à gagner qui est censé résulter, pour la CPRP, du transfert des cotisations des nouveaux salariés à la CNAV et à l’AGIRC-ARRCO.

La vigilance s’impose. Le gouvernement doit être conscient que les retraités du privé ne se laisseront pas duper.

* Pension calculée sur les six derniers mois de traitement et garantie au minimum à 75 % du dernier salaire, départ à 52 ou 57 ans, réversion sans conditions, majorations familiales plus généreuses...

**IGAS : Inspection générale des Affaires sociales. CGEDD : Conseil général de l’Environnement et du Développement durable.


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