Une réforme qui ne tient pas la route ?

Dans le futur régime universel, les régimes spéciaux du public ne seront pas supprimés, mais regroupés.

À mesure que filtrent les informations concernant le véritable contenu de la réforme préparée par Emmanuel Macron et le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, les craintes déjà énoncées par Sauvegarde Retraites apparaissent de plus en plus fondées.

Le risque est grand que les affiliés aux régimes de retraite du privé, retraités ou cotisants, soient les dindons de la farce gouvernementale qui se prépare dans les cuisines du haut-commissariat, de Bercy et des Affaires sociales. À cet égard, une interview d’Éric Lombard, Directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, publiée dans « Les Échos » du 15 octobre dernier, donne des éléments d’information qui doivent être pris d’autant plus au sérieux que les équipes de la Caisse, précise-t-il, travaillent depuis plusieurs mois avec Jean-Paul Delevoye pour préparer la réforme. Il sait donc à quoi s’en tenir.

Il en ressort que l’on se dirige, sous couvert de « régime universel », vers un système bipolaire : « Il existe deux grands ensembles, explique Eric Lombard. Les salariés du privé, autour de la CNAV et de l’AGIRC-ARRCO, sont en cours de rapprochement, mais il faudra du temps. » La Caisse des Dépôts, qui gère déjà plusieurs régimes d’agents publics (CNRACL, Ircantec, ouvriers de l’État, RAFP, Banque de France…) pourrait devenir, quant à elle, « la plate-forme d’accueil pour les régimes publics et certains régimes spéciaux. »

Au sein du système, cohabiteraient donc, d’un côté, un pôle privé ; et, de l’autre, un pôle public au sein duquel la Caisse des Dépôts gérerait l’ensemble des régimes spéciaux. Qui a dit qu’ils étaient condamnés… ?

Questionné sur le temps que durera la transition prévue pour mettre en place la réforme à venir, il répond :

« La transition doit être très progressive. (…) En 2025, la bascule va commencer, mais la conversion en points va durer longtemps car il faut reconstituer les carrières complètes, ce qui n’est pas facile dans la fonction publique, où, jusqu’à présent, seuls les six derniers mois sont pris en compte. »

C’est se moquer du monde ! Il est beaucoup plus facile de reconstituer la carrière d’un fonctionnaire, qui évolue « par avancement d’échelon et de grade et par promotion interne », comme l’indique le site officiel de l’Administration (service-public.fr), que celle d’un salarié privé, qui a plusieurs fois changé d’employeur, a souvent traversé les périodes de chômage, a pu se mettre un temps à son compte, etc. Mais cet argument, qui a déjà servi par le passé pour éviter que la retraite des fonctionnaires ne soit plus calculée sur les six derniers mois mais sur les trois dernières années, annonce le stratagème que déploieront les hauts-fonctionnaires pour échapper le plus longtemps possible à la réforme : les carrières des fonctionnaires se déroulent sans laisser de traces et leur reconstitution est donc censée être très compliquée, sinon impossible. On rêve ! «On a une dizaine d’années de travail devant nous », conclut-il.

Autrement dit, non seulement les régimes spéciaux du public ne disparaîtront pas, mais, pour eux, la réforme devrait seulement commencer à s’appliquer à partir de… 2035 ! Dans ces conditions, il n’est pas besoin d’être devin pour comprendre qu’une fois de plus, ce sont les affiliés du privé qui feront, pour l’essentiel, les frais des « nouveautés ».

Rappelons enfin que l’ordonnance de 1945 qui créa la Sécurité sociale sous sa forme moderne avait prévu explicitement que la suppression des régimes spéciaux, qui ne furent maintenus qu’à titre « provisoire ».

Un « provisoire » qui dure depuis 73 ans ! Une fois encore, l’histoire s’apprête à bégayer.


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