Lettre ouverte à Mme Aurore Bergé pour qui les retraités "peuvent faire un effort" !
Je suis né en 1946. Après mes études supérieures (ESJ de Lille) et mon service militaire (16 mois à 15 F par mois), j’ai travaillé 40 ans comme journaliste dans la presse écrite, en province et à l’étranger. Mon dernier salaire, en mars 2007, était de 2 800 € nets. Je suis en retraite depuis mars 2007, mon épouse (secrétaire) depuis avril 2007. Nous touchions à nous deux 3 000 € de retraite l’an dernier, mais 2 945 € aujourd’hui, depuis que M. Macron a eu la bonté de raboter notre pension… Mais il paraît que c’est encore trop.
Rappelez-vous. A moins que je ne vous l’apprenne :
- Congés payés : 3 semaines en 1956, 4 semaines en 1969, 5 semaines en 1982. Encore ne pouvait-on pas prendre ces congés en une fois, l’été. Quant à l’hiver, nous ne sommes jamais allés aux « sports d’hiver », nos trois enfants non plus, c’était une activité réservée aux privilégiés !
- Horaires : 40 heures hebdomadaires, officiellement ; 39 heures en 1982, 35 heures en 2002, mais beaucoup plus en réalité. Pour ma part, pendant les dix premières années de mon activité professionnelle (1969-1979), je tournais autour de 60 heures et plus (avec notamment presque toutes mes soirées prises). Six jours par semaine. J’ai travaillé tous les dimanches de 1969 à 1974 (repos le samedi), puis un dimanche sur deux jusqu’en 1983, et enfin un sur trois jusqu’à mon départ en retraite… Une vie de privilégié, comme vous le voyez.
- Salaires. J’ai commencé à 1 300 F brut par an en 1969. En 1974, je gagnais 1 350 F et j’ai acheté ma première voiture (une Peugeot 304) 19 000 F, soit l’équivalent de quatorze mois de salaire. Aujourd’hui, en considérant un salaire de 1 350 €, une voiture moyenne équivalant à une 304 coûte heureusement beaucoup moins que 19 000 € ! On pourrait faire des comparaisons analogues en matière de coût de la vie, qu’il s’agisse des loyers, de l’alimentation, des loisirs, plus accessibles et nettement moins élevés maintenant qu’autrefois. Nous avons acheté notre première TV en 1979 (une chance : ce n’est donc qu’à l’âge de 33 ans que nous avons commencé à nous abrutir...). A comparer avec la frénésie de consommation (informatique notamment) et de voyages qui s’empare aujourd’hui des jeunes, même… sans emploi !
Pour ma part, mon dernier voyage (d’ordre professionnel) remonte à 2004 (Autriche). Depuis ma retraite en 2007, je n’ai jamais pris ni le train, ni l’avion, me contentant de faire, avec mon épouse, quelques déplacements en voiture chez nos enfants (en Bretagne, fréquemment, et deux fois en Lorraine). Nous avons plutôt fait le choix de nous acheter une maison agréable pour notre retraite en Normandie : cette maison, c’est le fruit d’une vie de travail.
Je ne suis pas une exception. Tous les retraités ne sont pas des dilettantes, comme vous semblez vouloir le faire croire. Peut-être pensez-vous, en disant cela, aux fonctionnaires grassement payés, et notamment aux couples d’enseignants, qui effectivement ont souvent la belle vie, avec des retraites confortables. Nous n’en sommes pas, comme la plupart des retraités du privé, et les petits fonctionnaires, que vous semblez mépriser et dont vous ignorez manifestement la précarité, surtout en ce qui concerne les plus modestes (dont nous ne sommes pas non plus).
Peut-être vos propos scandaleux sont-ils le résultat de votre inexpérience et de votre ignorance ? Peut-être, comme beaucoup de nos « dirigeants », avez-vous vécu les premières années de votre jeune vie dans un univers doré ? Je n’en sais rien ; je ne vous connais pas, je constate simplement que vous dites des énormités sans même sembler vous en rendre compte.
Peut-être, en y réfléchissant, pourriez-vous, vous aussi, personnellement, « faire un effort » ?
Nous, nous ne plaignons pas. Nous avons de la chance, nous sommes en vie, nos enfants nous aiment, nous n’avons pas à rougir de notre travail passé et nous continuons d’ailleurs à œuvrer bénévolement autour de nous, dans des associations locales. Vous savez, celles qui font réellement vivre la France et le tissu social. Nous ne demandons rien, si ce n’est un minimum de considération, et que l’on cesse de nous prendre pour des vaches à lait.
Pendant 40 ans, nous avons cotisé pour nos aînés, et c’était normal. Aujourd’hui, il paraît que les salariés n’ont pas à faire le même effort pour nous qui sommes à notre tour en retraite. De qui se moque-t-on ?
Nous voulons bien faire des sacrifices. Mais pas tout seuls. Que Mesdames et Messieurs les nantis commencent !