L'usine à gaz du compte pénibilité

Mesure-phare de la loi Touraine sur les retraites, le « compte personnel de prévention de la pénibilité » a été mis en place le 1er janvier 2015. Dans un flou qui n’a rien d’artistique.

« Le compte pénibilité sera simple d’utilisation », a dit François Hollande. On peut lui faire confiance, le président ayant le secret des « chocs de simplification ». Du moins, dans les discours car en réalité, la « mesure phare » de la non-réforme des retraites pilotée par Marisol Touraine apparaît déjà comme une usine à gaz.
Les points acquis sur le compte pénibilité ouvrent droit à trois types d’avantages très différents : suivre une formation professionnelle, travailler à temps partiel pendant une période définie, ou partir plus tôt à la retraite : une personne qui dispose du maximum de points (100) cumulables sur une carrière pourra par exemple partir deux ans et demi avant l’âge légal. Mais on ignore combien de salariés choisiront cette potentialité.
La loi du 20 janvier 2014 a institué un fonds chargé au financement des droits liés au compte personnel de prévention de la pénibilité.
Le conseil d’administration de ce fonds comprend des représentants de l’Etat, des syndicats de salariés, des organisations patronales et des « personnalités qualifiées » nommées par l’Etat, parmi lesquelles est choisi le président du CA. Mais la gestion de fonds est, quant à elle, confiée à l’agent comptable du régime général d’assurance retraite(CNAVTS). Or, la loi du 20 janvier 2014 prévoit que le fonds prendra en charge les dépenses inhérentes aux trois types d’avantages prévus. Autrement dit, l’assurance vieillesse est chargée de gérer, en plus du financement des départs anticipés à la retraite, les dépenses relevant de la formation professionnelle et du temps partiel, qui n’ont évidemment rien à voir avec les retraites !
- Le nombre des salariés qui seront concernés par ce compte pénibilité diffère sensiblement, selon que l’on retient les prévisions du gouvernement : 3 millions ou celle de l’enquête Sumer, réalisée par la Direction générale du travail et la DARES (1) : 8 millions, « soit près de 40 % des salariés en France métropolitaine et à la Réunion » ! (2) Et près du triple des prévisions du gouvernement…
- À l’origine, les comptes pénibilité devaient être financés par les entreprises par deux nouvelles cotisations – avec pour conséquence prévisible une augmentation du coût de l’emploi. Devant la bronca des chefs d’entreprise, le gouvernement a différé l’entrée en vigueur de l’un de ces nouveaux prélèvements et réduit les taux du second, jusqu’en 2017. Le compte pénibilité est cependant mis en route depuis le 1er janvier 2015.
Cerise sur le gâteau, la réforme Touraine s’avère impossible à mettre en œuvre pour les chefs d’entreprise et à comprendre pour les salariés. « Nous avons mis une personne à temps plein pendant deux mois pour déchiffrer les textes », déplore dans Le Parisien (3) le directeur des ressources humaines d’une PME de 1 100 salariés, qui ajoute : « Ça bouge tout le temps. Cela fait dix fois que les choses changent ». Et le casse-tête est encore pire pour les entreprises trop petites pour disposer d’un DRH.
Cela ne semble pas entamer l’optimisme de Marisol Touraine, qui a déclaré, ironique : « On ne me fera pas croire que cocher une case sur le bulletin de paye une fois par an pour dire si oui ou non ces personnes sont concernées par les critères de pénibilité, c’est un travail extrêmement difficile et très complexe. »
C’est même sûrement très facile, aux yeux d’un ministre qui a passé toute sa carrière dans les couloirs des partis politiques et les travées des conseils généraux et de l’Assemblée nationale, sans jamais mettre le pied dans une entreprise.
(1) Dares : Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.
(2)Cette enquête Sumer a retenu les critères de pénibilité définis dans la loi Woerth de novembre 2010 et confirmés dans la loi Touraine de janvier 2014.
(3) Le Parisien-Aujourd’hui en France, 20 janvier 2015.

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