Réforme des retraites : va-t-on manquer le coche ?

Jacques Bichot, économiste, professeur émérite à l’université Lyon 3. Dernier ouvrage paru : Retraites. Le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan – Sauvegarde retraites, avril 2010

144 milliards de déficit public en 2009, soit 7,5 % du PIB davantage encore en 2010 (8 % du PIB ?) une dette publique qui a atteint 78 % du PIB en décembre 2009 et qui va continuer à grossir rapidement : les Français ne sont pas aveugles, ils voient bien que des réformes importantes sont indispensables pour arrêter la chute puis remonter la pente. C’est donc le moment de prendre des décisions courageuses dans différents domaines, depuis l’enseignement (un rapport de la Cour des Comptes vient de montrer que l’argent investi dans ce secteur vital pour l’avenir du pays[1] est assez mal utilisé) jusqu’aux retraites par répartition.

Or, le « Document d’orientation sur la réforme des retraites » que le Gouvernement vient de rendre public ne donne pas du tout l’impression que nos dirigeants soient décidés à faire le nécessaire. Pourtant, l’engagement n° 2 dispose : « Il faudra bien garantir que nos régimes de retraite reviendront à l’équilibre. Dans ce but, la réforme aura vocation à définir des règles pour les régimes jusqu’à l’horizon 2020 ou 2030. » Mais quand on lit attentivement les 17 pages de ce document, et qu’on les compare aux travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR), on voit hélas que la montagne s’apprête à accoucher d’une souris.

D’abord, l’indispensable réforme systémique n’est évoquée que pour la forme, et d’une manière qui montre que les auteurs du Document n’y ont rien compris : ils l’assimilent à un simple changement de mode de calcul des droits à pension (en points plutôt qu’en annuités), alors que c’est le passage à la liberté (retraite à la carte), à la responsabilité (en choisissant de travailler plus ou moins, on choisit d’avoir une pension forte ou faible) et à la souplesse (liquidation fractionnable et réversible, notamment). Aucune mise à l’étude d’une réforme systémique ne fait partie des « orientations », alors qu’un rapport du COR et l’expérience suédoise montrent qu’il faut plusieurs années de préparation. Si on ne prépare rien, on ne fera jamais rien de sérieux, c’est aussi simple que cela.

Ensuite, les pouvoirs publics s’apprêtent à faire plaisir aux syndicats en taxant le capital au profit des retraites par répartition. Mais il ne peut s’agir que d’une recette de poche, comme des économistes de gauche l’ont déjà expliqué (à l’intention de leurs amis, tentés de réclamer cette taxation) le 12 juin 2003 dans Libération. L’article s’intitulait « L’illusoire imposition du capital » ! Donc, cela sera de la poudre aux yeux, alors que l’on a besoin de vraies réformes. Quant aux régimes spéciaux, y compris celui des fonctionnaires, pas question d’y toucher, cela fâcherait les syndicats … Le passage à un régime unique pour tous les Français, condition indispensable d’un retour à l’équilibre pour un système qui est plombé à plus de 50 % par les privilèges accordés à 20 % de ses affiliés, est une fois de plus écarté.

Enfin, ces « Orientations » tout à fait dirigistes (la loi empêchera vraisemblablement les Français de liquider leur pension avant 61 ans, puis 62 ans, etc.) font fi de ce qui est le ressort principal de toute amélioration : la volonté de se retrousser les manches, et de travailler jusqu’à 65 ou 70 ans si c’est la condition pour disposer d’une bonne pension. Quand on est placé face à la réalité, face à ses responsabilités, on fait des efforts, comme les Français en ont fait pendant les « trente glorieuses », à l’époque où il était clair pour chacun que le moyen d’améliorer son sort, c’était de « bosser ». Quand on est face à un Etat providence qui vous promet le confort quoi que vous fassiez, on se laisse vivre. Nos dirigeants ont choisi de promettre aux Français que l’Etat « sauvera leurs retraites » : pourquoi travailleraient-ils davantage ? Ce qui est rationnel dans ces conditions, ce n’est pas de travailler, c’est de revendiquer ! Et, bien entendu, les revendications sont mieux entendues quand elles viennent de travailleurs qui peuvent arrêter les trains, les métros et quelques autres services publics…

Il faudrait bien plutôt équiper les Français d’un système dans lequel on a une bonne pension si on en prend les moyens, et une pension modeste si l’on préfère se la couler douce. Alors la plupart d’entre eux se prendraient par la main, et, en résolvant leur propre problème, résoudraient par la même occasion le problème d’ensemble des retraites. Dommage que les princes qui nous gouvernent ne l’aient pas compris !

[1] Vital également pour l’avenir des retraites, car s’il faut compter pour les futures pensions sur les cotisations de personnes illettrées ou dépourvues de qualifications professionnelles, les retraités devront se serrer la ceinture.


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