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Non-réforme des retraites : chronique de huit années de guignolade

C’est guignol en France ! Alors que la France est en faillite, Elisabeth Borne, ministre de l’Education d’un Premier ministre démissionnaire, conseille de suspendre la réforme des retraites qu’elle a elle-même imposée en 2023. Alors que la question des retraites nourrit depuis huit ans tous les conflits sociaux, les responsables politiques en font la variable d’ajustement de leurs calculs politiciens.

Lundi dernier, Sébastien Lecornu a donné sa démission à Emmanuel Macron, qui l’a acceptée. Mais trois jours plus tard, l’ancien Premier ministre est toujours aux affaires (on n’ose pas dire aux commandes) et n’écarte pas l’idée suggérée par Elisabeth Borne, mère de la réforme des retraites accouchée aux forceps en 2023, de « suspendre » ladite réforme – ce qui, de facto, reviendrait à l’abroger. Par cet abandon, le clan macronien espère se concilier les bonnes grâces du parti-croupion socialiste pour se maintenir au pouvoir. Ces petites manœuvres politiciennes se déroulent en terrain miné, sur fond de faillite de l’État, marquée par une dette publique colossale et un budget structurellement déficitaire, plombé dans une large mesure par un déficit des retraites que l’État s’obstine à maquiller pour éviter de procéder à l’indispensable réforme de fond, pourtant promise en 2017 par Emmanuel Macron. Voilà où nous en sommes, plus de huit ans après l’accession de ce dernier à la présidence de la République.

Retour sur l’arlésienne de la réforme des retraites.

  • 2017 : Jean-Paul Delevoye prévoit un système à deux vitesses piloté par l’État.

Lorsqu’en 2017, Jean-Paul Delevoye est nommé Haut-Commissaire chargé de la réforme des retraites, il reçoit mission de mener à bien une réforme tendant à l’équité entre tous les Français, en application du principe « à contribution égale, pension égale », à travers la mise en place d’un système de retraite « universel », ce qui suppose la suppression des régimes spéciaux du secteur public. Mais comme le dit Jean-Paul Delevoye, « universel » ne veut pas dire « unique ». Il apparaît rapidement que le projet Delevoye conduit à un système à deux vitesses, public et privé, piloté par l’État, qui prendrait ainsi le contrôle de l’ensemble des régimes de retraites – donc celui des réserves des régimes complémentaires du privé. Quant aux régimes spéciaux, le Premier ministre de l’époque, Edouard Philippe, conforte pour longtemps les avantages qu’ils octroient à leurs affiliés en introduisant dans la réforme une « clause du grand-père », renvoyant leur disparition aux calendes grecques. Jean-Paul Delevoye, opposé à cette « clause du grand-père », qui viderait selon lui la réforme de sa substance, est opportunément poussé à la démission à la suite d’irrégularités dans ses déclarations à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, médiatisées au bon moment…

  • 2020 : Edouard Philippe enterre la réforme à peine votée.

Malgré tout, le 29 février 2020, après un bras de fer avec les syndicats marqué notamment par des grèves dans les transports publics, un projet de réforme est adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, le gouvernement recourant à l’article 49.3 de la Constitution. Le projet Delevoye, déjà imparfait, est largement vidé de sa substance, mais il en subsiste néanmoins le principe de la gestion par points, qui s’appliquera à l’ensemble des régimes de retraite, du privé comme du public. C’est toujours ça ! Malheureusement, Edouard Philippe prend prétexte de l’épidémie de Covid-19, qui éclate à cette époque, pour enterrer la réforme naissante, avant même qu’elle ne soit examinée par le Sénat. Ce tour de passe-passe est d’autant plus injustifié que la crise sanitaire, faisant passer le sujet des retraites au second plan, aurait pu permettre une adoption facilitée de la réforme.

  • 2023 : abandonnant le projet de réforme structurelle, Elisabeth Borne impose une réforme paramétrique.

En novembre 2021, Emmanuel Macron annonce que la réforme des retraites est reportée après l’élection présidentielle de 2022. Elisabeth Borne, alors ministre du travail, déclare que la création d’un régime universel par points est abandonnée : exit, donc, la réforme structurelle. Le gouvernement de Jean Castex, puis celui d’Elisabeth Borne, s’orientent alors vers une simple réforme paramétrique, qui ne change rien sur le fond, mais modifie certains paramètres : l’âge légal de départ à la retraite – auquel, en 2017, Emmanuel Macron s’était engagé à ne pas toucher – est reporté à 64 ans et la mise en œuvre de la loi Touraine de 2014, portant à 43 ans la durée de cotisation nécessaire pour percevoir une retraite à taux plein, est accélérée. Malgré de nouvelles oppositions, grèves et manifestations émaillées de violences, cette réforme a minima est adoptée par l’Assemblée nationale le 20 mars 2023 (le gouvernement ayant de nouveau recouru à l’article 49.3) et promulguée le mois suivant dans la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 portant réforme des retraites. Cette réforme paramétrique permet de gagner du temps, sans rien résoudre durablement.

  • 2025 : François Bayrou repasse la « patate chaude » des retraites à un « conclave » des organisations syndicales et patronales.

Mais les oppositions ne désarment pas. La problématique des retraites, nouée autour du report de l’âge légal de départ à 64 ans, continue à envenimer le débat public, entraînant la chute du gouvernement Barnier en décembre 2024. François Bayrou, qui lui succède, imagine de passer la " patate chaude " des retraites à un « conclave » de partenaires sociaux, incluant les syndicats, qui ont compté jusqu’alors parmi les principaux opposants aux tentatives de réforme et n’ont en tête que la protection des régimes spéciaux de retraites du secteur public, en particulier ceux des fonctionnaires. L’échec est prévisible, mais la manœuvre permet à Bayrou de tenir neuf mois à Matignon. Il démissionne en septembre 2025, faute d’avoir obtenu la confiance de l’Assemblée nationale et après avoir brossé un tableau apocalyptique, mais malheureusement réaliste, de la situation financière d’un État français en faillite.

  • Tout ça pour ça !

Le mois suivant, c’est au tour de son successeur, Stéphane Lecornu, de démissionner, 36 heures après la formation de son gouvernement. Emmanuel Macron accepte sa démission, mais lui demande de rester à Matignon quelques jours de plus, pour tenter de sortir de l’impasse politique dans laquelle la France se trouve engluée. Dans ces circonstances, Elisabeth Borne suggère de « suspendre » la réforme des retraites. Cette proposition vise à se concilier les faveurs du parti socialiste afin d’essayer de dégager une coalition de fortune pour gouverner le pays. Sébastien Lecornu lui-même n’écarte pas cette idée, mais déclare qu’il faudrait « trouver un chemin pour que le débat ait lieu sur cette réforme des retraites ». Ce qui était déjà l’objet du « conclave » de François Bayrou…

Plus question, donc, de tenter de remédier à la faillite de l’État. Tant pis si les créanciers s’effraient et si les taux d’intérêt de la dette explosent : ce sont les intérêts politiciens qui priment. Quant aux retraites, si la réforme Borne est suspendue, on n’en sera pas seulement revenu à la case départ : non seulement aucune amélioration n’aura été réalisée depuis 2017, mais la situation se sera encore considérablement aggravée, en raison de la dégradation de la conjoncture financière et économique française.

Au bout de cette guignolade, les retraites sont sacrifiées aux égoïsmes politiques et syndicaux et condamnées à servir de variable d’ajustement aux finances exsangues de l’État, au détriment des cotisants et des retraités.


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