Les démonstrations byzantines du Conseil d'analyse économique

Le Conseil d’analyse économique a publié une note  pour nier l’existence d’un déficit caché des retraites. Il aboutit au résultat inverse...

Au mois de septembre, le Conseil d’analyse économique (CAE, organisme prétendument indépendant, mais attaché au Premier ministre) a publié une note intitulée « Retraites des fonctionnaires d’Etat : pas de déficit caché mais un coût salarial surévalué », signée par Hélène Paris, haut fonctionnaire, secrétaire générale du CAE et inspecteur général de l’INSEE. Son intitulé indique son objectif : répondre aux personnalités de plus en plus nombreuses qui ont démontré l’existence d’un énorme déficit caché des retraites de la fonction publique, y compris l’ancien Premier ministre François Bayrou. En effet, leurs conclusions mettent en évidence la nécessité d’une réforme structurelle des régimes spéciaux des fonctionnaires, qui sont, de très loin, les principaux facteurs du déficit des retraites. C’est ce que veut à tout prix éviter la haute administration, qui s’emploie à nier cette évidence à travers les publications publiées par des organismes comme le CAE ou le Conseil d’orientation des retraites (COR).

Dans sa note, Hélène Paris constate, à juste titre, que la « convention comptable » qui masque la réalité du déficit des pensions de retraite des fonctionnaires de l’Etat, « manque de transparence ». En effet, elle mêle « à la fois une cotisation similaire à celle des employeurs dans le régime général, le financement de dispositifs de solidarité (…) et une subvention permettant d’équilibrer le régime, sans qu’il soit possible de distinguer ces trois éléments. »

Et pour cause ! Non seulement, la subvention est déguisée derrière une surcotisation (la cotisation salarié/employeur est de 27,9 % sur le salaire brut des salariés du privé, contre 85,4 % sur le traitement indiciaire des fonctionnaires civils et 137,2 % pour les militaires), mais de manière plus générale, l’ensemble des cotisations de la fonction publique sont fictives. Les pensions y sont intégralement financées par les impôts prélevés sur l’ensemble des contribuables. Il a d’ailleurs fallu attendre 2009 pour que l’Etat, devant les critiques croissantes, se décide à créer un « service des retraites de l’Etat » – à défaut d’une véritable caisse de retraite, qui n’existe toujours pas ! Ce service est intégré au ministère de l’Economie et des Finances, et les opérations relatives aux pensions des fonctionnaires de l’Etat sont enregistrées dans un compte d’affectation spéciale (CAS Pensions). Tout est géré par Bercy et financé par l’impôt, ce qui facilite les camouflages.

À cet égard, la note d’Hélène Paris est involontairement révélatrice, lorsqu’elle explique que « cette contribution employeur à la charge de l’État (ou des opérateurs et agences également employeurs de fonctionnaires titulaires) résulte avant tout d’une convention comptable et est neutre pour le solde des administrations publiques puisqu’il s’agit de versements au sein des administrations publiques. Il ne s’agit pas ici de prétendre qu’il y aurait un déficit " caché " du système des retraites, résultant d’une sur-cotisation de l’État employeur pour équilibrer le régime de retraites des fonctionnaires (…) c’est avant tout une question de tuyauterie budgétaire qui, suivant les choix effectués, fera apparaître un sous-ensemble en déficit, excédent ou à l’équilibre. In fine, ce qui compte c’est le niveau global des dépenses de retraites, et le déficit consolidé des administrations publiques. » Or, c’est précisément l’ampleur du coût réel et du déficit de son régime spécial de retraite que l’Etat cherche à masquer par des jeux de « tuyauterie budgétaire » !

Ce coût est croissant. Hélène Paris indique qu’afin d’assurer l’équilibre du CAS Pensions, « le taux de la contribution employeur de l’État (s’appliquant aux traitements bruts des fonctionnaires) a été sensiblement accru depuis 2006 : il est ainsi passé de 49,9 % en 2006 à 74,3 % depuis 2014. Il augmente à nouveau en 2025 s’élevant désormais à 78,3 % pour les pensions civiles. Pour les pensions militaires, le taux de la contribution employeur est de 126,07 % depuis 2014. » Cette augmentation spectaculaire correspond à celle de la subvention d’équilibre.

Surtout, Hélène Paris omet surtout de préciser une différence fondamentale entre les régimes spéciaux du public et du privé : les premiers ne relèvent pas d’une logique assurantielle, comme les seconds, mais s’apparentent en réalité à des rémunérations à vie.* En outre, ces régimes spéciaux ne fonctionnent pas à cotisation définies, comme ceux du privé (à l’exception du régime de base des salariés, la CNAV**), mais à prestations définies :

  • Les régimes à cotisations définies, comme le régime complémentaire Agirc-Arrco et tous les régimes des professions libérales, sont contributifs, ce qui signifie que le montant des pensions servies aux retraités est relatif aux cotisations versées par les actifs, dans le cadre du système par répartition
  • Les régimes spéciaux du secteur public, à prestations définies, sont rétributifs : le montant des pensions n’est pas établi en fonction des cotisations (qui, rappelons-le, sont fictives), mais prédéterminé et calculé en fonction du dernier traitement perçu et de la durée de la carrière, sans souci de l’équilibre financier du régime – c’est pourquoi ces régimes sont structurellement déficitaires. S’y ajoutent les avantages exorbitants qu’ils octroient sans compter à leurs affiliés. « Quoi qu’il en coûte ».

*Voir à ce sujet le livre de Pierre-Edouard du Cray, directeur des études de Sauvegarde Retraites, Retraites, l’impossible réforme (éditions L’Artisan, mars 2021)

** La CNAV, également appelée régime général, fonctionne à prestations définies, mais il s’agit néanmoins d’un régime contributif, au sein duquel les ressources sont principalement assurées par des cotisations réellement versées et les pensions sont calculées sur une grande partie de la carrière.


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