Vers un retour en grâce de la capitalisation

Une importante évolution des mentalités est en train de se produire en matière de retraite. 

Selon une enquête Ipsos publiée le 4 février (Baromètre de l'Épargne Ipsos-CESI École d'ingénieurs pour le Cercle des Épargnants), une majorité de Français (55 %) estime désormais qu’il faudrait développer les fonds de pensions, autrement dit la capitalisation dans nos systèmes de retraite. Ce pourcentage a progressé de 9 points depuis 2017, ce qui montre qu’une prise de conscience est en train de se produire.
Les politiciens suivent le mouvement, comme Edouard Philippe, qui évolue à la vitesse d’un dinosaure au galop. Le 11 décembre 2019, lorsqu’il était Premier ministre, il se faisait le chantre « d'une France où les travailleurs payent fièrement la retraite de leurs parents en sachant que, quand viendra leur tour, leurs enfants les aideront à vivre décemment leur retraite ». En parallèle, il dénigrait la capitalisation qu’il assimilait au « choix du chacun pour soi », en ajoutant : « Nous ne voulons pas confier le soin de nos anciens à l'argent-roi. C'est un choix fondamental, ancien, répété de notre pays. Et même dans les désaccords qui se sont manifestés entre nous, j'ai vu que nous cherchions tous à préserver ce lien indéfectible entre les générations qui constitue l'illustration la plus éloquente de ce qu'est le pacte social. »
Le changement, c’est maintenant, comme disaient les socialistes : en juin 2024, sur France 3, Edouard Philippe avait enfin pris conscience que le système par répartition « a contre lui la démographie » et cette grande découverte le conduisait à « réfléchir à un nouveau système (...) pas exclusivement fondé sur la répartition ». Autrement dit, incluant une part de capitalisation (horresco referens !), comme le font depuis longtemps la plupart des pays qui nous entourent, comme l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas ou l’Italie. À la bonne heure ! Il est toutefois dommage que l’ancien Premier ministre ne se soit pas aperçu plus tôt du mauvais état de notre démographie (qui ne faisait pourtant mystère pour personne) ; nous aurions gagné cinq ans.
D’autres personnalités se prononcent dans le même sens. Dans un entretien donné à Sauvegarde Retraite début décembre et que l’on peut lire sur notre site Internet, Charles de Courson, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, s’est déclaré « tout à fait favorable » à l’introduction d’une part de capitalisation (1). En effet, plusieurs arguments militent pour cette solution, à savoir :
- l’évidente asphyxie du système par répartition, résultant du rapport de plus en plus dégradé entre le nombre des actifs cotisants et celui des retraités pensionnés (1,7 cotisant pour 1 pensionné aujourd’hui) ;
- le fait qu’une vaste partie de la population bénéficie de régimes spéciaux du public qui ne sont financés ni par répartition, ni par capitalisation, mais par l’impôt ;
- les exemples à l’étranger, qui montrent que la capitalisation permet d’obtenir un meilleur rendement en cotisant moins ;
- l’imposture qui assimile la répartition à la solidarité intergénérationnelle alors qu’elle en est aujourd’hui le contraire : les déficits des régimes de retraite, en particulier ceux du public, sont artificiellement comblés en recourant à l’endettement public, qui pèsera sur les jeunes générations.
La répartition apparaît ainsi comme un gigantesque système de Ponzi, camouflé derrière une posture idéologique reposant sur le faux postulat que la capitalisation, c’est le vol. Jean Jaurès n’était pas de cet avis lorsqu’il en défendait le principe contre Jules Guesde. La « rolls » des régimes de retraite français, celui des sénateurs, fonctionne d’ailleurs par capitalisation, ce qui lui a permis de constituer d’opulentes réserves. En général, les assiettes de nos élus ne sont pas les moins bien remplies, le doute est donc permis sur la qualité du système par répartition qu’ils réservent aux autres.
En outre, la capitalisation présente deux autres avantages.
D’une part, celui de rendre aux Français la propriété du produit de leurs cotisations et par conséquent une plus grande indépendance à l’égard de l’Etat qui, dans le système actuel, les tient à sa merci, décidant selon son bon plaisir du niveau de revalorisation des pensions sans qu’ils aient voix au chapitre.
D’autre part, celui de donner une nouvelle vigueur à l’économie nationale si les fonds capitalisés via les fonds de pension servent à l’alimenter – création d’emplois à la clé.
Ces arguments militent en faveur de l’introduction de la capitalisation. La difficulté principale tient à la transition d’un système à l’autre : il s’agit d’assurer les pensions des aînés (par répartition) tout en permettant aux générations futures de capitaliser, sans augmenter des prélèvements obligatoires déjà exagérément lourds sur les actifs et les entreprises. Il ne sera sans doute pas aisé de briser le cercle vicieux dans lequel nous a enfermé le « tout répartition » à la française. Mais il vaut la peine de s’y employer.


(1) Charles de Courson : « C’est une réforme structurelle qu’il faut envisager », 2 décembre 2024.


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