La capitalisation est-elle diabolique ?

Réforme ou pas, le gouvernement s’accroche au dogme du « tout répartition » et diabolise la capitalisation. Sauf pour les agents publics…

Jean Castex a rassuré sur ce point les organisations professionnelles, et singulièrement les syndicats du public : réforme des retraites ou pas, il n’est pas question de remettre en cause le dogme de la répartition. À cet égard, le nouveau premier ministre s’inscrit dans la droite ligne de son prédécesseur – et du Président de la République.

Le 11 décembre 2019, alors que les syndicats des entreprises publiques des transports bloquaient le pays pour défendre leurs régimes spéciaux privilégiés – et financés par les contribuables –, Edouard Philippe, alors chef du gouvernement, avait prononcé devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE) un discours pathétique au cours duquel il avait condamné, sans la nommer, la capitalisation et privilégié le principe de la répartition – principe qui, à l’en croire, ferait consensus et auquel adhèreraient d’un même mouvement, à l’en croire, « gouvernement, élus, syndicats, patronat, associations… ».

Ce consensus est pour le moins sujet à caution puisque l’association Sauvegarde Retraites, qui représente 131 000 membres, n’y adhère pas.

Dans ce discours, Edouard Philippe opposait, sans les nommer, la répartition à la capitalisation, deux principes radicalement divergents qu’il présentait de manière quelque peu manichéenne :

  • côté répartition, « une France où les travailleurs payent fièrement la retraite de leurs parents en sachant que, quand viendra leur tour, leurs enfants les aideront à vivre décemment leur retraite », ce qui préserverait le « lien indéfectible entre les générations qui constitue l’illustration la plus éloquente de ce qu’est le pacte social »
  • côté capitalisation, le choix « du chacun pour soi et du tant-pis pour les autres », qui reviendrait à « confier le soin de nos anciens à l’argent-roi ».

Il est probable qu’en diabolisant ainsi la capitalisation, le Premier ministre de l’époque, accusé d’être le factotum du « Président des riches », voulait amadouer les syndicats de gauche. Mais la situation qu’il dépeignait ne correspond en rien à la réalité.

En effet, les régimes spéciaux - qui bénéficient à l’ensemble des agents de l’État, fonctionnaires et salariés des entreprises publiques - ne fonctionnent pas par répartition. Dans ces régimes, ce ne sont pas les travailleurs qui « payent fièrement la retraite de leurs parents », mais c’est l’ensemble des contribuables, travailleurs du secteur privé compris, qui finance par leur impôt les pensions et les privilèges des retraités du public.

Toutefois, le plus généreux de tous les régimes spéciaux est géré par capitalisation : celui des sénateurs. Avec d’assez beaux résultats, puisque la caisse de retraite du Sénat s’était constitué, en 2015, 631 millions d’euros de réserves : de quoi couvrir 18 années de prestations versées aux sénateurs retraités et 29 années de déficit technique structurel !

De même, les régimes de retraite complémentaire des mêmes agents publics, comme la Préfon ou comme le régime additionnel de la Fonction publique (RAFP), fonctionnent en capitalisation. C’est officiellement reconnu pour la Préfon, régime facultatif par capitalisation provisionnée. C’est plus hypocrite dans le cas du RAFP, qui est présenté comme un régime obligatoire par répartition, mais qui est en réalité géré comme un fond de pension : la CGT elle-même convient qu’en l’espèce, il s’agit bien d’un fonctionnement par capitalisation. Pourtant, qui oserait croire que les régimes complémentaires des agents publics sacrifient au règne de l’argent-roi et du « chacun pour soi et tant-pis pour les autres » ?

La répartition, parée des couleurs attrayantes de la « solidarité », c’est bon pour les tocards du privé. Ceux dont les régimes de retraite sont aujourd’hui menacés par la crise et la spectaculaire multiplication du nombre des chômeurs consécutive au confinement du printemps dernier.


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