Priorité à la grande dépendance !
Le Président de la République l’a dit, en évoquant dans son discours du 13 avril la poursuite du confinement : « Il faudra essayer de s’y tenir pour vous protéger, pour votre intérêt ». Le gouvernement s’érige ainsi en protecteur des retraités, puisque c’est essentiellement la part la plus âgée de la population française qui se trouve menacée par le coronavirus.
Toutefois, ce dessein appelle quelques remarques sur la capacité de l’Etat à remplir cette mission de protection, qu’il s’est lui-même assignée.
- Dans les maisons de retraite et les EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), l’hécatombe continue. À ce jour, 8 654 personnes résidant en EHPAD sont données comme décédées du coronavirus au sein de ces établissements, certaines dans des conditions épouvantables.
- Un reportage de la chaîne RTL Info, diffusé le 12 avril, a ainsi souligné l’état de dénuement dans lequel se sont trouvés les pensionnaires de l’EHPAD du Jardin des plantes, à Paris. Plus d’un quart d’entre eux sont morts. Un tiers de l’effectif du personnel de l’établissement est absent pour diverses raisons : contamination par la maladie, ou nécessité de garder les enfants déscolarisés. Un membre du personnel soignant témoigne : il manque « des drogues » pour « anesthésier les personnes qui vont décéder, qu’on sait condamnées, puisque la Salpétrière ne les prend pas, puisqu’eux-mêmes sont déjà ultra-débordés ». (En l’occurrence , faut-il parler d’anesthésie ou d’euthanasie ?) Ces personnes décèdent au sein même de l’EHPAD. Les soignants ont dû « légèrement délaisser » celles qui souffrent d’autres pathologies - escarres, insuffisances cardiaques, ou sont placées sous perfusion... - pour pouvoir se consacrer aux malades atteints du coronavirus.
- Les pompes funèbres étant débordées aussi, certains corps restent « trois, quatre jours dans les chambres, dans des housses à même la chambre. Il y a les odeurs, ça passe à travers les portes, ça traverse les murs, ce n’est pas évident. Et les services compétents qui doivent venir décontaminer n’ont pas que les ehpad à faire dans Paris… » L’auteur du reportage dénonce « une solitude inimaginable : même morts, ces hommes et ces femmes sont presque oubliés. » Et conclut : « Au Jardin des plantes, chacun meurt dans l’abandon le plus total. »
- La solitude et le sentiment d’abandon des pensionnaires de ces établissements sont renforcés par la rigueur dont on fait montre les pouvoirs publics en interdisant jusqu’à une date récente la visite des familles à ces personnes très âgées – et, pour les croyants, le secours des ministres des cultes. En l’espèce, l’Etat les a-t-il réellement protégées, en les laissant mourir dans des conditions qui ne sont même plus imposées aux pires criminels ?
Une situation révélatrice d’une faille profonde du système de retraite
« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », disait Bossuet. Cette situation tragique des résidents des Ehpad est la conséquence d’une dérive déjà ancienne de la politique vieillesse conduite par l’Etat et d’une inversion des priorités. On a oublié qu’à l’origine, les régimes de retraite ont été créés pour empêcher de tomber dans la misère les personnes devenues physiquement ou intellectuellement incapables de travailler et, par conséquent, de subvenir à leurs besoins autrement dit, dépendantes. Etaient concernés, au premier chef, les malades et les vieillards.
Mais, depuis des décennies, cette préoccupation est passée au second plan et l’âge de la retraite a été de plus en plus considéré comme un droit acquis à percevoir une rente, versée par l’ensemble des actifs selon le principe de notre système par répartition prétendument solidaire, pour financer les grandes vacances à vie de personnes qui cessaient de travailler parfois dès 50 ans, dans certains régimes spéciaux et catégories de la fonction publique. C’est pour tenter de financer ce système de retraite, qui représente le premier poste de dépenses de l’Etat avec 325 milliards de dépenses publiques, qu’ont été imaginées les réformes paramétriques successives, comme autant de bouts de sparadrap sur une plaie béante, jusqu’à la réforme en cours, voulue par Emmanuel Macron et déjà vidée de ses objectifs initiaux et de son principe annoncé : pour chaque euro cotisé, les mêmes droits pour tous.
A contrario, il est très révélateur que le financement de la grande dépendance, qui aurait dû rester le principal objet de l’attention des gouvernements, ait été systématiquement relégué au second plan – et soit finalement le parent pauvre de la politique vieillesse, alors que les régimes spéciaux de retraite sont une fois encore en passe de sauver leur peau dans le cadre de la réforme qui était en cours avant que tout soit suspendu en raison de la crise sanitaire. Les tragédies qui se déroulent actuellement au sein des EHPAD et des maisons de retraite, liées à l’épidémie de coronavirus, viennent nous rappeler – très tardivement – cette réalité. Décès à la clé. Et la crise économique qui risque de résulter de la suspension d’une large fraction de l’économie pendant deux mois, achèvera de placer toute notre société devant cette évidence : en matière de vieillesse, priorité doit être donnée à la grande dépendance.
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