Le Premier ministre a enterré la réforme systémique

Dans son allocution du 11 décembre, Edouard Philippe a cherché à rassurer les bénéficiaires des régimes spéciaux. La réforme « équitable » et « universelle » annoncée par Emmanuel Macron est repoussée aux calendes grecques.

Tout arrive ! On connaît enfin « l’intégralité du projet de réforme » des retraites du gouvernement, qu’Edouard Philippe a présenté devant le Conseil économique, social et environnemental, le 11 décembre. Le Premier ministre n’a pas seulement capitulé en rase campagne face aux bénéficiaires des régimes spéciaux du public, dont les grévistes de la SNCF et de la RATP représentent le bras armé. Derrière les déclarations d’intention (un gouvernement résolu à rester « fidèle aux valeurs fondatrices », dans une « France de solidarité, où les travailleurs paient fièrement la retraite de leurs parents » grâce à la répartition) et les nobles principes (universalité, équité, responsabilité…), il s’agit d’un trompe-l’œil supplémentaire.

Cette « réforme systémique » gravée dans du faux marbre, conduit à reporter d’un demi-siècle la disparition des régimes spéciaux au moment même où l’on déclare qu’ils vont être supprimés et d’ici-là, à faire porter aux générations futures, à la faveur de la sacro-sainte répartition, le poids de retraites non financées, alourdi des compensations généreusement octroyées aux bénéficiaires des régimes spéciaux avant même qu’ils aient perdu le moindre de leurs avantages.

C’est une bérézina !

Il est significatif que le Premier ministre ait attendu la dernière partie de son allocution pour dévoiler le calendrier de son projet.

  • Les générations nées avant 1976, c’est-à-dire celles du « baby-boom » (1944-1974), échapperont à la réforme.
  • Les générations de 1975 à 2004 intègreront partiellement et progressivement le nouveau système. Edouard Philippe a précisé que lorsque les natifs de 1975 partiront à la retraite, leurs pensions seront encore calculées à 70 % sur l’ancien système. Et pour les affiliés aux régimes spéciaux, qui bénéficient déjà d’un âge de départ à la retraite anticipé, ne seront concernées que les générations nées à partir de 1980 (c’est le cas des affiliés à ces régimes qui peuvent partir à 57 ans, comme la plupart des agents de la SNCF) ou même de 1985 (cas de ceux qui peuvent liquider leurs droits à 52 ans, comme les conducteurs de locomotives).
  • En définitive, n’intègreront pleinement et immédiatement le régime « universel » que les générations nées à partir de 2004, qui entreront sur le marché du travail à partir de 2022. Ce sont les « nouveaux entrants », auxquels s’appliquera la « clause du grand-père » évoquée par Edouard Philippe au mois de novembre.

Les générations montantes devront donc supporter les conséquences de la reculade gouvernementale. Contrairement à ce qu’ont prétendu Emmanuel Macron, Jean-Paul Delevoye et Edouard Philippe, ce sont bien des motifs financiers qui commandent de réaliser une véritable réforme. Le poids des engagements retraite (la dette retraite, évaluée à quelque 9 800 milliards d’euros) et le coût encore indéterminé de la grande dépendance, pèseront dans les prochaines années sur des actifs qui seront en proportion moins nombreux que leurs aînés pour y faire face : on comptait 4 actifs pour 1 retraité dans les années 1950, contre 1,7 actif pour 1 retraité aujourd’hui, et seulement 1,3 actif pour 1 retraité dans quelques années.

Le système est donc loin d’être à l’équilibre et le coût des régimes spéciaux creusent encore le déficit public et la dette. La réforme est donc bel et bien rendue nécessaire par cette situation financière.

Au mois de juillet dernier, Jean-Paul Delevoye avait préconisé l’instauration d’une « règle d’or » interdisant tout déficit dans les régimes de retraite. Nous en sommes loin. Au contraire, le 11 décembre, Edouard Philippe a évoqué une autre « règle d’or », qui consistera à maintenir la valeur du point dans le nouveau système. Parallèlement, il a annoncé un ensemble de mesures destinées à compenser les effets du futur passage des affiliés aux régimes spéciaux vers le régime universel – qui est, comme on l’a vu, repoussé aux calendes grecques.

Le Premier ministre n’a pas précisé si ces compensations seraient mises en place, comme ce fut souvent le cas dans le passé, avant même que les régimes spéciaux ne soient réformés (si toutefois ils le sont un jour) ! Et surtout, il n’a pas précisé comment il compte les financer. La seule certitude que l’on puisse avoir à ce sujet, c’est qu’une fois de plus, les contribuables paieront.


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