Equité entre les affiliés : le gouvernement bat en retraite

« Selon que vous serez puissant ou misérable les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », écrivait La Fontaine. La leçon n’a pas changé : selon que vous pourrez ou non bloquer le pays, le pouvoir vous traitera différemment.

Faute d’avoir la possibilité de déclencher une grève massive, qui mettrait en danger les entreprises qui les emploient, les affiliés du privé risquent une fois de plus de faire seuls les frais de la « grande réforme » annoncée depuis 2017 par Emmanuel Macron, son Premier ministre et le haut-commissaire Delevoye, et toujours repoussée.

Les syndicats du public, qui défendent bec et ongle les régimes spéciaux, n’ont pas cette difficulté : si la SNCF ou la RATP se mettent en grève, l’Etat, qui de facto est déjà en faillite, se contentera de faire payer la note par les contribuables.

Le 12 septembre dernier, s’exprimant devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), Edouard Philippe avait déclaré :

« Si, pour certaines professions, la période de transition doit être plus longue, nous l’allongerons. Je pense par exemple à la question des taux de cotisations pour les indépendants, ou à celle des âges de départ pour les catégories actives.

De la même façon, peut-être le nouveau système ne devra-t-il s’appliquer, pour certains régimes, qu’à des personnes plus jeunes, plus éloignées de la retraite. Là-dessus, et je l’ai dit au haut-commissaire, je n’ai aucun tabou.

Tout cela pour dire que des solutions existent si tant est qu’on se donne les moyens de les rechercher. Elles varient d’un régime à l’autre. Elles demandent de l’imagination et un peu de souplesse. »

À quels régimes le premier-ministre-sans-tabou pensait-il, en proposant d’allonger la transition ? La réponse suivait :

« Nous prendrons le temps qu’il faut pour construire ces solutions avec les organisations syndicales et professionnelles. C’est d’ailleurs toute la différence entre l’alignement pur et simple– qui est toujours brutal - et la convergence qui, elle s’effectue en pente douce. »

Mieux encore il précisait, à propos de la mise en place de la « maison commune » (autrement dit, du pseudo-régime universel) : « A quel rythme et selon quelles conditions et avec quelles garanties ? Cette phase de transition va prendre beaucoup plus de temps à le définir ; ce qui est assez naturel parce que chaque régime devra dessiner son propre chemin de convergence. Tant que ce chemin ne sera pas tracé, le nouveau système ne leur sera pas appliqué. Et pour que les choses soient vraiment claires, le Gouvernement inscrira ce principe dans le futur projet de loi ».

Comme Sauvegarde Retraites le faisait alors remarquer, si le Premier ministre attend que les régimes spéciaux dessinent eux-mêmes leur « propre chemin de convergence », ils ne sont pas près d’être réformés !

L’entourloupe semble se préciser. Confronté à la grogne des bénéficiaires des régimes spéciaux, le gouvernement se hâte de préciser que rien ne presse… L’application de la réforme à partir de la génération née en 1963, envisagée par Jean-Paul Delevoye (excepté pour certaines catégories privilégiées d’agents publics), ne paraît déjà plus d’actualité – si l’on ose dire. Edouard Philippe explique, en effet, que « la génération née en 1963 ne sera peut-être pas la première touchée pour toutes les catégories ».

Ce qui laisse entendre, a contrario, que certaines « catégories » le seront. Lesquelles ? Il suffit de se remémorer les précédentes réformes pour le deviner : les affiliés aux régimes du privé risquent fort de faire les frais des nouvelles mesures, tandis qu’elles seront repoussées aux calendes grecques pour les bénéficiaires des régimes spéciaux. Et s’ils sont plus tard, partiellement concernés, l’on peut s’attendre à ce que les " efforts " qui leur seront demandés soient largement compensés. En somme, quoi de changé ?

Ainsi, il semble que se mette en place le système à deux pôles, public et privé, à l’encontre duquel Sauvegarde Retraites a déjà mis ses membres en garde, et qui est depuis longtemps prévu par la haute administration d’Etat. Gageons aussi que le gouvernement n’attendra pas les calendes grecques pour siphonner les réserves des régimes du privé.

Ce n’est pourtant pas (encore) une fatalité, à condition que les affiliés à ces régimes fassent comprendre au gouvernement qu’eux aussi disposeront d’un moyen de blocage. Notamment, lors des prochaines élections…


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