Grand débat et retraites

Le 7 février, le Dr Gérard Maudrux, ancien président de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), a publié sur son blog des considérations très intéressantes sur le « débat » organisé par Jean-Paul Delevoye. Voici son texte, avec son autorisation.

"Le grand débat a été lancé ; sur quoi peut-il déboucher ? Toute la nuance est dans le écouter et/ou entendre. C’est pour cela que certains refusent d’y participer et parlent d’«enfumage». Qu’en est-il ou qu’en sera-t-il en pratique ?

Il est un débat qui a été lancé depuis un an, c’est celui des retraites. Le Haut-Commissariat aux retraites consulte à tout va, les caisses, une par une, les syndicats, un par un, plusieurs fois, dans toutes les professions. Un grand débat, de grandes discussions, une grande concertation.

Où en est-on maintenant ? J’ai l’impression qu’on en est toujours à la case départ, les sonotones ne semblant pas fonctionner. Certes, le projet avance sur le plan technique ; on en dévoile les détails petit à petit.

- Les comptes notionnels sont abandonnés pour un système par points ; une bonne chose, car pour être acceptée, une réforme de cette ampleur doit être lisible, compréhensible, ce qui n’aurait pas été le cas avec les comptes notionnels.

- Une cotisation pouvant être différente d’une catégorie à l’autre, là encore normal pour ne pas trop bousculer l’existant. Chaque euro cotisé donne les mêmes droits, normal, c’était le but et l’équité.

- On voit aussi apparaître dans les dernières révélations la possibilité d’une cotisation « de solidarité » à partir d’un certain revenu, sans droits, ce qui n’est plus une cotisation mais un impôt.

- On commence aussi à parler de faire évoluer les taux vers une cible commune. Logique dans un système universel, mais c’est là que cela va commencer à grincer : une moitié va voir ses cotisations grimper faisant beaucoup de mécontents, une autre moitié verra ses cotisations baisser, pouvant aussi être mécontente car les retraites baisseront d’autant. Chez les professions libérales certains verraient leur cotisation grimper de 30 %, d’autres baisser d’autant. C’est surtout la fin de la (relative) liberté pour chaque secteur d’activité de choisir son niveau de retraite et la cotisation qui va avec. Demain, l’État s’occupera de tout.

C’est là qu’est le vrai problème, un gros problème, qui n’a pas varié depuis les premières réunions. Premier tour de table : en gros, nous envisageons un système universel pouvant aller jusqu’à 1 ou 3 PSS (plafond de la Sécurité Sociale, 40 000 €), avec ou sans les régimes complémentaires, incorporé soit au premier euro, soit à partir de 1PSS. Qu’en pensez-vous ? La quasi-totalité des caisses sont pour un régime de base universel avec maintien des régimes complémentaires autonomes. Second tour de table : 3 PSS quand même. Troisième tour : 3PSS un point c’est tout, en voici les premières modalités. Un vrai dialogue de sourds.

Cela n’a pas été un débat, mais un monologue, des explications progressives sur « voilà ce que nous allons faire », avec arguments à l’appui, sans jamais se préoccuper des arguments d’en face. Et on annoncera cela comme étant le fruit du « très large concertation » ! Chez les professions libérales, il semble que le Haut-Commissariat maintenant fuit les caisses, compétentes avec des arguments, pour traiter avec les syndicats, incompétents et manipulables (ou achetables).

Ce régime universel englobera donc tous les régimes, base + complémentaires, jusqu’à 3 PSS, soit la totalité des retraites pour certaines caisses, la presque totalité pour d’autres. Ainsi pour la caisse des médecins, les cotisations au-delà de 3PSS représentent 6 % des recettes du régime complémentaire, autant fermer ce régime dont la gestion serait ridicule. Les réserves, constituées par toutes les caisses pour garantir les droits (165 milliards d'€), iront au régime universel.

C’est une véritable nationalisation de toutes les caisses qui est en préparation, après une large concertation de sourds. Dommage, car il y avait, et il y a toujours, l’opportunité de faire un régime de base - et uniquement de base - universel. Il serait salué par tous, alors que le projet actuel sera rejeté par tous, ou presque. Il y a pour moi de fortes chances que, vu les difficultés techniques et la conjoncture politique défavorable, il y ait un retour vers un régime de base unique.

Pourquoi s’acharner dans un mauvais sens ? Les choses sont claires : qui dit régime de base unique dit création d’un régime complémentaire pour les fonctionnaires et régimes spéciaux, alors qu’un régime global universel jusqu’à 3PSS permet d’incorporer tous ces régimes, sans avoir à régler le problème de leur régime complémentaire. Et pourquoi ils ne cotiseraient pas à l’Agirc-Arrco, comme tous les salariés ? L’État, la Sncf, la RATP ne sont-ils pas des employeurs comme tous les autres ? Le problème va en fait bien au-delà de ce raisonnement trop simple, car quand vous avez d’un côté 165 milliards d'€ de bonus, de l’autre 1 000 milliards d'€ de dépenses supplémentaires *, vous aurez compris comment et pourquoi certains s’acharnent à faire une réforme qui noie et cache tout dans la masse. Dans toutes les discussions, pas un mot sur le traitement de ces régimes, or si on met tout le monde dans le même sac, on met d’abord tout à plat, sur la table, avant de nous demander de dire oui ou non."

Blog internet de Gérard Maudrux.

*Les engagements de retraite totaux représenteraient 5 800 Mds €. Sur ces engagements, 32 % sont dus à la fonction publique, soit 2 000 Mds €. Sachant que, par individu, ces engagement sont 2 fois plus élevés que pour les autres citoyens, le surcoût des retraites des régimes spéciaux est de 1 000 Mds €. Sources : https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2017-5-page-889.htm.


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