Charles de Courson : « C’est une réforme structurelle qu’il faut envisager »
Sauvegarde Retraites : Vous avez déclaré que vous avez toujours favorable à une réforme des retraites. Envisagez-vous une réforme de fond ou une nouvelle réforme paramétrique ? S’il s’agit d’une réforme de fond, quels devraient en être, selon vous, les axes principaux ?
Charles de Courson : Une réforme paramétrique, au vu de notre démographie, ne ferait que repousser le problème indéfiniment. Nous l’avons justement vu avec la réforme d’Elisabeth Borne qui s’avère être inefficace pour sauver le régime des retraites. C’était une réforme injuste car elle reposait uniquement sur ceux des actifs ayant commencé à travailler tôt, et démocratiquement contestable car tous les outils que donne la Constitution ont été utilisés pour passer cette réforme en force, sans écouter les partenaires sociaux et sans vote de l’Assemblée nationale.
C’est donc bien une réforme structurelle qu’il faut envisager avec les partenaires sociaux pour sauver de façon pérenne notre système de retraites. Une réforme structurelle qui s’appuie sur un régime unique des salariés du privé et du public et la mise en extinction de tous les autres régimes de salariés et de fonctionnaires pour les nouveaux embauchés, avec une retraite complémentaire négociée avec les partenaires sociaux. Dans un tiers de siècle, tous les salariés seront au régime général. Pour les indépendants, ils auront le choix de choisir d’adhérer collectivement au régime général ou le maintien de leur propre régime.
S.R. : En demandant à Elisabeth Borne de renoncer au report de l’âge légal à 64 ans, en 2023, vous lui aviez présenté comme alternative cinq propositions. Quelles étaient-elles et les pensez-vous toujours valables ?
C. d C. : Ce que nous avions proposé en 2023 vaut toujours aujourd’hui. Il ne faut pas toucher à l’âge légal car c’est une mesure profondément injuste. Il faut reprendre les négociations avec les partenaires sociaux. Il faut encourager nos concitoyens à travailler plus longtemps. En 2023, l’âge effectif de départ à la retraite était de 63 ans et demi dans le régime général.
Il faut donc encourager les entreprises à conserver leurs salariés âgés, par des négociations de branche, parce que la situation de travailleurs dans le BTP n’est pas la même que celle d’un travailleur dans les services. Les branches qui arriveraient à un accord pour conserver leurs salariés âgés bénéficieraient de réductions de cotisations patronales sur les retraites. Cette idée a été reprise au Sénat mais est malheureusement tombée devant le Conseil Constitutionnel. Je me félicite que les partenaires sociaux aient pu aboutir à un accord allant dans ce sens.
Deuxièmement, actuellement, quand vous prolongez d’un an votre carrière après l’âge légal, on majore votre retraite de 5%. Ce n’est pas assez. Il faut le portez à 7%.
Troisièmement, il faut supprimer toutes les règles anti-cumul emploi-retraites. Si des personnes veulent retravailler. Elles doivent être libres de le faire. Il faut de la liberté pour tous !
Nous avions également demandé à réformer le contrat de retraite progressive. C’est un contrat qui ne bénéficie qu’à 21000 de nos concitoyens, et qui permet de partir progressivement à la retraite. Il faut transformer ce contrat en un droit pour les salariés à partir d’un âge négocié avec les partenaires sociaux, pour permettre de partir à la retraite progressivement. Afin d’encourager les entreprises à garder leurs salariés âgés, les partenaires sociaux viennent de trouver un accord qui va dans cette direction. Mais il faut aller plus loin.
Enfin, il faut garantir le maintien de l’effort de formation en faveur des salariés âgés par les entreprises. A défaut, des pénalités pourraient être mises en place.
S.R. : Encourager, par l’incitation, le maintien des plus âgés à l’emploi, vous parait-il une solution suffisante pour résoudre le déficit des retraites ?
C. d C. : C’est l’un des éléments qui va dans le bon sens. C’est une question de cohérence si l’on veut encourager l’activité des séniors. C’est nécessaire mais absolument pas suffisant.
S.R. : En 2017, Emmanuel Macron s’était déclaré favorable à une gestion des retraites en points ou en comptes notionnels. Y êtes-vous favorable ?
C. d C. : Ce qu’avait proposé Emmanuel Macron, c’était un 43ème régime qui recalculait pour chaque personne ses droits à retraite à travers un nombre de points mais personne ne savait comment on recalculait en points ces droits pour chaque individu. C’est pour cela que j’y étais hostile. Comment passe-t-on de 42 régimes à un 43ème régime unique à points ?
Je suis favorable à transformer le régime général en régime à points comme pour les régimes complémentaires.
S.R. : Le président de la République souhaitait aussi instaurer un régime unique de retraite (sa position a varié par la suite, avant d’être abandonnée). Y êtes-vous favorable ? Ce régime unique devrait-il englober les régimes complémentaires ? Ne faut-il pas craindre une mainmise de l’Etat sur leur pilotage et sur leurs réserves ?
C. d C. : Bien sûr, il faut converger vers un régime unique sur la base du régime général qui couvre déjà les deux tiers des salariés. Cela aura le mérite de rendre le système plus juste. Mais il faut maintenir les régimes complémentaires négociés avec les partenaires sociaux. Viser l’instauration d’un régime général permettrait plus d’égalité pour tous les salariés du public et du privé, et de faire des économies car les régimes spéciaux assurent des prestations plus avantageuses que celles du régime général alors que leur financement fait davantage appel à l’employeur, c’est-à-dire aux contribuables.
S.R. : Vous avez demandé l’abrogation du recul de l’âge de départ, mais qu’en est-il de l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans, prévue par la loi Touraine de 2014 et dont la réforme Borne accélère la mise en place ?
C. d C. : Je me suis opposé au report de l’âge légal, mais pas à l’accélération de la réforme Touraine que la France Insoumise souhaite abroger en même temps que la réforme Borne. Le groupe auquel j’appartiens a d’ailleurs déposé un amendement pour ne pas l’abroger.
S.R. : La retraite « à la carte », qui permettrait aux personnes de choisir le moment de leur départ à la retraite, vous paraît-elle possible ? Si oui, à quelles conditions ?
C. d C. : Je suis pour le maintien d’un âge légal de départ à la retraite. Mais il faut laisser les personnes choisir leur âge de départ à la retraite, en encourageant le mouvement et à donner des moyens incitatifs pour que les personnes puissent prolonger leurs activités au-delà de l’âge légal, comme je l’ai dit plus haut. Je serai toujours un partisan de la liberté.
S.R. : Il apparaît que le plus gros du déficit des retraites provient des régimes du secteur public. Vous demandez l’extinction de neuf régimes spéciaux, dont ceux des parlementaires, en plus de ceux qui ont été « fermés ».
C. d C. : J’ai proposé la mise en extinction de tous les régimes public ou privé de salariés, en commençant par les deux régimes des parlementaires, qui doivent converger vers un régime général pour les nouveaux entrants. Les professions libérales auront le choix d’adhérer au régime général ou de conserver leur propre régime.
S.R. : Mais qu’en est-il des régimes de la fonction publique, qui sont les plus importants des régimes spéciaux ?
C. d C. : Tous les salariés du public ou du privé doivent converger vers le régime général, avec des mesures d’adaptation pour les militaires ou les contrats courts par exemple.
S.R. : Les régimes spéciaux qui sont déjà en extinction bénéficient d’une « clause du grand-père » qui permet aux salariés embauchés avant leur « fermeture » de continuer à profiter d’avantages onéreux. Or, ces avantages sont financés de facto, via des soultes versées par le régime général et l’Agirc-Arrco, par les salariés du privé. Or, ceux-ci ne bénéficient pas d’avantages comparables et ont déjà consenti des efforts importants pour que leur régime complémentaire soit budgétairement équilibré. N’y a-t-il pas là une injustice flagrante ?
C. d C. : Dans la réforme que je propose, les personnes déjà affiliés peuvent rester dans leur régime spécial selon un droit d’option. Mais les nouveaux recrutés seraient rattachés au régime général. S’agissant des indépendants, les nouveaux affiliés continueront d’avoir le choix entre leur régime spécial et le régime général.
S.R. : Les organisations patronales ont souhaité l’introduction d’une part de capitalisation, comme cela existe dans de nombreux pays européens. Qu’en pensez-vous ?
C. d C. : J’y suis tout à fait favorable. C’est le 3ème niveau après les régimes de base et les régimes complémentaires. Cela existe déjà dans le Plan épargne retraite (PER) qu’il faut soutenir et développer. Je suis favorable à ce que toutes les entreprises créent un PER pour leurs salariés même en l’absence de contributions de l’entreprise.
S.R. : Face à l’importance de la dette publique, l’objectif de la réforme Borne était de rassurer les créanciers de la France pour qu’ils continuent à prêter à l’Etat. Ne sommes-nous pas engagés dans un cercle vicieux ?
C. d C. : Les déficits de la branche de retraite ne sont qu’une petite partie du déficit public. En effet, le déficit public en 2024 était à 156 milliards quand les régimes de base de retraites (ROBSS) étaient en déficit de 6,3 milliards. Les retraites pèsent donc 4% sur le déficit global. Cette réforme n’a donc pas rassuré les marchés. La réforme Borne rapporterait 3,5 milliards à horizon 2030 mais coûte cher à l’assurance chômage, à l’assurance maladie et au RSA.
Le commentaire de Sauvegarde Retraites
Charles de Courson est un grand spécialiste de l’économie de l’Etat et de la protection sociale, l’un des trop rares élus qui maîtrisent ces dossiers, sans rien céder aux idéologies. Les conceptions qu’il développe dans l’entretien qu’il a bien voulu nous donner malgré la charge de travail qu’il porte en cette période de débat budgétaire autour des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, rencontrent sur de nombreux points les analyses de Sauvegarde Retraites, concernant notamment :
- une articulation sur un régime de base unique pour tous les salariés, une retraite complémentaire avec un développement en capitalisation pour pallier l’érosion inéluctable de la répartition ;
- la fin des régimes spéciaux du secteur public, y compris ceux des fonctionnaires ;
- la gestion par points du régime de base et des complémentaires (comme elle existe déjà à l’AGIRC-ARRCO) ;
- le maintien d’un âge légal de départ, tout en laissant aux personnes la liberté de choisir le moment de prendre leur retraite (en fonction du niveau de pension souhaité).
D’autres points appellent quelques remarques.
- Le maintien de la loi Touraine, dont la mise en place est accélérée par la réforme Borne, limiterait les effets de l’abrogation du report de l’âge légal de départ à 64 ans. Comme Charles de Courson le rappelle, l’âge effectif de départ à la retraite atteint d’ores et déjà, en moyenne, 63 ans et demi dans le régime général. Aujourd’hui, les départs précoces concernent principalement les régimes spéciaux du secteur public (en 2022, 62 ans et 1 mois dans la Fonction publique de l’Etat, 62 ans dans la Fonction publique territoriale, 60 ans et 7 mois dans la fonction publique hospitalière, 60 ans et 3 mois dans les IEG, 58 ans et 3 mois à la SNCF, 57 ans et 6 mois à la RATP).
- La prolongation des privilèges des régimes spéciaux est financée aux dépens des salariés du privé affiliés à la CNAV et à l’AGIRC-ARRCO. Le maintien de ces privilèges par le biais d’une « clause du grand-père », au titre des « avantages acquis » ou d’un improbable contrat implicite (alors que le principe même du statut autorise leur révision unilatérale par l’Etat), ne repose pourtant sur aucune base juridique solide. Il n’avait d’ailleurs pas été question d’une clause du grand-père ni d’un contrat implicite lors de la réforme des retraites du secteur privé en 1993.
- Enfin, le déficit réel des retraites est très supérieur à ce qu’indiquent les chiffres officiels si l’on prend en compte, notamment, les subventions déguisées aux régimes spéciaux (40 milliards d’euros pour les seuls fonctionnaires de l’Etat). Selon l’inspecteur général des finances Jean-Pascal Beaufret, il s’élève à plus de 70 milliards d’euros, ce qui rend indispensable et urgente la réforme qu’appelle de ses vœux Charles de Courson.