Une guéguerre pour rien

Sur le front des retraites, la guéguerre continue sur fond de ruine, autour de la réforme Borne, très inadaptée mais que le premier ministre Michel Barnier veut « améliorer », en y associant les syndicats.

Bref résumé des épisodes précédents :

  • En 2017, Emmanuel Macron promet dans son programme électoral de réaliser une réforme de fond qui établira l’équité en matière de retraite entre tous les Français.
  • Auteur d’un premier projet, JeanPaul Delevoye, après avoir annoncé la création d’un régime unique pour tous, envisage finalement deux régimes, l’un pour le privé, l’autre pour le public, tous deux pilotés par l’Etat.
  • Ce premier projet est toutefois vidé de son contenu par le premier ministre Edouard Philippe, qui l’accommode à sa sauce, en introduisant notamment la notion de « clause du grandpère » pour garantir jusqu’au siècle prochain les « avantages acquis » des agents publics. Après l’avoir fait adopter en première lecture par l’Assemblée nationale en utilisant le 49-3, Philippe lui-même enterre finalement cette réforme à la faveur de l’épidémie de Covid-19.
  • Néanmoins un nouveau projet est mis sur l’ouvrage, pour tenter de convaincre les créanciers de la France que l’Etat français est fiable, responsable et capable de mener une réforme à bien. Ce qui débouche en septembre 2023 sur la réforme Borne, qui n’est que le fantôme de la réforme d’Edouard Philippe, laquelle n’était que le fantôme du projet de JeanPaul Delevoye, qui n’était lui-même qu’un avatar de la promesse initiale d’Emmanuel Macron.

Entretemps, malgré les tentatives des gouvernements successifs pour farder les comptes des retraites avec l’aide du Conseil d’orientation des retraites, la réalité du déficit s’est imposée. Même si les pouvoirs publics se refusent encore à en convenir, ils savent que le véritable « trou » des retraites avoisine 70 milliards d’euros par an, alimentant une dette publique abyssale. Pour un Etat depuis longtemps "accroc" à la dette, il est plus que jamais nécessaire de rassurer les créanciers pour continuer à emprunter sans que les taux d’intérêt n’explosent.

Cet énorme trou des retraites est principalement creusé par les régimes spéciaux du secteur public, structurellement déficitaires et largement subventionnés par l’Etat aux dépens des contribuables. Les syndicats, qui sont eux-mêmes subventionnés par l’Etat et recrutent principalement leurs adhérents et leurs cadres au sein du secteur public, défendent bec et ongles les avantages coûteux que ces régimes spéciaux dispensent à leurs affiliés. Faute de les remettre en question, la réforme Borne ne remédie, ni au déséquilibre budgétaire du système global des retraites, ni au manque d’équité entre les retraités du public et du privé.

L’une des mesures les plus intéressantes du projet Delevoye, celui d’une gestion par points telle qu’il en existe dans les régimes de retraite complémentaire des salariés du privé (y compris l’AGIRC-ARRCO) a été abandonnée. Ce mode de gestion a pourtant fait ses preuves : non seulement ces régimes sont à l’équilibre budgétaire, mais ils ont constitué, grâce aux efforts consentis par leurs affiliés, des réserves que l’Etat convoite (à cet égard, le projet Delevoye, qui prévoyait de confier à l’Etat la gestion de ces régimes, n’était d’ailleurs pas innocent). Mais aux yeux des gestionnaires des régimes spéciaux du public et des syndicats, ce mode de gestion a le défaut rédhibitoire de remettre en cause leurs avantages acquis.

Voilà ce qui fonde la guéguerre des retraites, au-delà des tambouilles politiques des différents partis.


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