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Jean-Pascal Beaufret écrit au président de COR pour lui demander de faire la lumière sur la situation réelle des retraites

Ancien Inspecteur général des finances et Directeur général des Impôts, Jean-Pascal Beaufret est un éminent spécialiste des finances publiques. Depuis deux ans, il a publié différentes études et tribunes, en particulier dans la revue Commentaire, dans lesquelles il a démontré que le système de retraite français est très déficitaire (68 milliards d'euros en 2022)

À l’attention de Gilbert Cette,

Président du Conseil d’Orientation des Retraites

copie Emmanuel Bretin, Secrétaire Général

Le 3 avril 2024

Monsieur le Président,

Comme votre prédécesseur avait eu l’honnêteté d’organiser à ma demande une présentation, avec François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan, de la proposition consistant à publier aussi un solde de la branche vieillesse avant subventions ou transferts des administrations, je me permets, à la veille d’une réunion de préparation du rapport 2024 du Conseil d’Orientation des Retraites de revenir vers vous et les membres du Conseil pour donner une suite à cette discussion.

Plusieurs questions que j’ai posées à Pierre-Louis Bras et à Emmanuel Bretin à l’été 2023 sont restées sans réponse et je me permets de les porter à nouveau à l’attention du Conseil que vous présidez.

1/Le périmètre retenu par le COR diffère de celui décrit dans le rapport à la Commission des Comptes de la Sécurité sociale, rapport public le plus détaillé sur les régimes obligatoires de protection sociale. En 2022, les charges totales (prestations et gestion du rapport CCSS de novembre 2023 hors transferts IEG) s’établissent à 363 Md€ contre 361 Md€ repris par le COR. La différence semble liée à trois catégories de régimes, le RAFP en premier lieu (0,5 Md€ de prestations), le régime complémentaire des prestations vieillesse des professions de santé ( 1,5 Md€ de prestations, couvert par une contribution de la CNAM de 0,8 Md€) ainsi que divers régimes spéciaux financés largement par des dotations budgétaires (Assemblée Nationale, Sénat et CESE, Opéra et Comédie Française, ex Seita , Sapeurs-Pompiers volontaires, Port Autonome de Strasbourg , prestations totales de 0,3 Md€ ).

Les rapports annuels du COR disent que le RAFP est hors périmètre parce que c’est un régime géré en capitalisation. Mais, sinon pour des raisons de principe qui n’ont rien à voir avec la qualité technique du rapport, on ne voit pas pourquoi ce mode de gestion devrait empêcher d’inclure un régime obligatoire dont la montée en charge va se poursuivre. Je m’en suis d’ailleurs entretenu avec le président de l’ERAFP. Quant au régime complémentaire ASV des professions médicales ou les autres régimes spéciaux de moindre importance dont les taux de cotisation sont fixés par des textes réglementaires et qui reçoivent des subventions importantes d’autres administrations, on ne comprend pourquoi le périmètre COR les exclue.

Question 1 : le rapport 2024 peut-il préciser à nouveau les raisons de ces exclusions et comprendre une liste exhaustive des régimes inclus dans le périmètre ?

2/La contribution d’équilibre de l’Etat et des opérateurs de l’Etat. Pendant de nombreuses années les rapports annuels du COR ont qualifié de cotisations ce que le rapport à la CCSS appelait « une contribution d’équilibre de l’employeur principal » au régime spécial de Sécurité sociale des pensions civiles et militaires de l’Etat. Depuis 2022, cette contribution d’équilibre est identifiée plus spécialement comme telle aussi dans les rapports du COR. En effet, si les prélèvements pour la retraite effectués sur les traitements bruts des fonctionnaires de l’Etat au taux moyen pondéré total de 98 % contre 28 % maximum pour les autres salariés français sont des cotisations, alors cela signifie que la rémunération prise en compte, toutes charges comprises, des fonctionnaires de l’Etat excède d’environ 50 % la moyenne comparable du reste des salariés en France, ce qui est manifestement irréaliste et ne correspond pas au service fait.

On parle donc bien d’une contribution d’équilibre totale (comprenant une partie cotisation et une partie subvention d’équilibre, elle-même destinée à couvrir le déséquilibre démographique et les avantages particuliers du régime résultant de textes législatifs ou réglementaires), présentée dans le rapport CCSS sur l’année 2022 pour un montant de 43,3 Md€ ou de 43,8 Md€ avec le transfert de décentralisation reçu par le régime.

Toutefois, ni le rapport à la CCSS, ni le rapport du COR ne mentionnent que les versements des établissements publics administratifs, opérateurs de l’Etat, qui emploient aussi de nombreux fonctionnaires en activité et sont calculés pour des personnels civils essentiellement au même taux employeur de 74,28 % sont aussi des contributions d’équilibre, pour un montant d’environ 6,0 Md € (CAS pensions). L’Etat, au travers de dotations budgétaires, finance l’essentiel du coût de fonctionnement de ces employeurs publics. Il serait donc indispensable de classer aussi ces contributions d’équilibre séparément pour apprécier les efforts budgétaires de l’Etat au titre des retraites et non dans le poste des cotisations des employeurs aux taux de droit commun.

Question 2 : le rapport 2024 peut-il reclasser séparément les cotisations employeur des établissements publics administratifs, opérateurs de l’Etat dans les contributions d’équilibre prises en compte pour mesurer l’effort budgétaire de l’Etat dans le domaine des retraites ?

Question 3 : le rapport 2024 peut-il estimer la part de cotisations et la part de transfert ou subventions qui composent ces deux contributions d’équilibre, l’utilisation d’un taux de référence de 28 % restant la meilleure mesure de cette importante distinction (cf. ma note n°7 lors de la séance du Conseil du 21 septembre 2023)

3/ Les cotisations d’équilibre des collectivités locales et des établissements publics de santé.

Les administrations locales et les administrations de Sécurité sociale qui emploient des fonctionnaires sont assujetties à un taux de cotisation employeur de 30,65 % en 2022, passé à 31,65% en 2024, à comparer aux 16,46% des employeurs du régime général. Il y a bien une cotisation d’équilibre au régime de la CNRACL, de l’ordre de 15% des traitements bruts des fonctionnaires actifs, au regard des taux de cotisation de retraites de droit commun déjà élevés en France par rapport aux pays comparables. Le montant que ces sur-cotisations font peser sur les budgets publics est de l’ordre de 8 Md€, pour partie prise en charge dans la tarification d’activité de la CNAM pour les établissements publics de santé et pour une autre partie dans les comptes des collectivités locales.

Question 4 : le rapport 2024 peut-il estimer le transfert ou la subvention incorporée aux dépenses publiques des collectivités locales et du système de santé du fait des surcotisations de la CNRACL et les ajouter aux efforts des collectivités publiques en faveur des régimes de retraites ?

4/ Le compte rendu des dépenses non contributives (94 % des retraités sont concernés)

Les dépenses non contributives des régimes de retraites justifient que des impôts et taxes soient transférés aux différents régimes, en plus des impôts et taxes qui compensent les exonérations de cotisations et de ceux qui couvrent des déficits (exploitants agricoles, IEG et en 2025, régimes spéciaux transférés à la CNAV). Mais l’absence de chiffrage précis des avantages non contributifs, par régime et par catégorie, interdit de mesurer l’adéquation de ces dépenses aux impôts et taxes qui leur sont ou devraient leur être affectés. Tous les quatre ou cinq ans, la DREES fournit une étude statistique sur la base d’un large échantillon (dernière étude de 2020 sur un échantillon 2016) qui donne des indications en pourcentage des droits directs pour quelques grands régimes. Sur la base de la dernière étude publiée, on peut estimer le total des dépenses non contributives autour de 65 Md€.

Question 5 : quand le COR sera-t-il en mesure de fournir une estimation annuelle précise et réévaluée par régime et par catégorie d’avantages contributifs, en million d’euros, des avantages non contributifs appelant à des financements par impôts et taxes transférés ?

Et pardon d’insister à nouveau, ce serait une clarification et une facilité de lecture très importante si le prochain rapport, dans ses annexes sur les dépenses et les ressources par régime pouvait être libellé en euros et non en fraction infinitésimales de PIB.

Par hasard, j’ai eu la chance de prendre connaissance d’un document n°5 afférent à la réunion du 4 avril 2024 qui détaille, « les apports de l’Etat dans le financement du système de retraite, compléments demandés lors de la séance du 21 septembre 2023 ». Ce document confirme les chiffres que j’avais présentés sur un graphique unique, décrivant les subventions aux régimes de retraites, mais dans un nouveau format notamment en ce qui concerne les contributions d’équilibre de l’Etat. Il ne paraît pas, en revanche, reprendre d’éléments sur les cotisations d’équilibre des employeurs du régime CNRACL (cf. question 4).

Mais surtout il confirme le montant de 74 Md€ à 76 Md€ de transferts ou subventions de collectivités publiques y compris autres administrations de Sécurité sociale, qui financent le système des retraites. Toutefois le document ne dit pas comment ces concours, qui ne peuvent être assimilés à des cotisations et sont donc essentiellement des transferts ou subventions, sont traités dans la consolidation finale des comptes des administrations publiques laissant un solde négatif très important au système des retraites, pour ne pas compter des dépenses publiques deux fois.

Je reste donc convaincu qu’un solde avant subventions devrait être aussi publié par le COR pour traduire la contribution des retraites aux déficits publics.

Je reste à votre disposition pour m’en entretenir avec vous, à tout moment.

Bien à vous.

Jean-Pascal Beaufret


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