Les pseudo-progrès de la réforme des retraites
En français, progresser, c’est avancer, ou « opérer une transformation vers le mieux ». Or, la réforme annoncée recours à des mesures paramétriques, vues, revues et corrigées plusieurs fois depuis 30 ans, et dont la principale consiste à reculer de deux ans l’âge légal de départ à la retraite – comme l’avait déjà fait la réforme Woerth en 2010. On peut parler de répétition, également de pis-aller, mais certainement pas de « progrès ». L’emploi de ce mot n’est pas adéquat pour qualifier cette réforme inadaptée. Aucun « progrès » n’est possible, pour plusieurs raisons :
- le renoncement à la vraie réforme structurelle promise par Emmanuel Macron en 2017 conduit au maintien en son état antérieur d’un " système " de retraite juxtaposant en réalité des systèmes de retraite extrêmement différents les uns des autres, non seulement par leur mode de fonctionnement, mais aussi par leur nature (les régimes du secteur privé répondent à une logique d’assurance sociale, tandis que ceux du secteur public sont financés par l’impôt et servent à leurs bénéficiaires ce qui s’apparente à des traitements à vie).
- Aucun allègement n’est apporté à l’ensemble archaïque, touffu et incohérent formé par cette juxtaposition de régimes enchevêtrés, qui est de plus en plus opaque et incompréhensible des experts eux-mêmes. Cette complexité a pour conséquence de nombreuses erreurs dans la gestion des dossiers par les caisses.
- A cause de cette même complexité, il est très difficile en pratique pour les affiliés aux régimes du privé de connaître leurs droits – à commencer par le rapport entre la contribution dont ils s’acquittent et le montant de la pension qu’ils percevront. Autre conséquence, les régimes du privé (en particulier la Cnav, mais aussi l’Agirc-Arrco, dans une moindre mesure) commettent de nombreuses erreurs dans la gestion des dossiers.
- La réforme pérennise les régimes spéciaux de la fonction publique, qui sont en eux-mêmes archaïques et structurellement déficitaires. Il est impossible de chiffrer exactement l’importance de leur déficit, qu’un collectif de hauts-fonctionnaire a récemment évalué à une trentaine de milliards d’euros par an – ce qui paraît être un minimum.
- Le gouvernement présente abusivement comme des « progrès » ce qui n’en est pas, comme la correction de « l’effet des carrières hachées », dont pâtissent notamment les femmes qui ont interrompu leur activité pour élever leurs enfants. Elles subissent une double peine en raison de la décote appliquée sur leur pension. Aucun assouplissement sérieux n’est prévu à cet égard.
- La prise en compte accentuée de la pénibilité est également présentée comme un « progrès ». Séduisante en théorie, cette notion de « pénibilité » consiste en réalité à monter des usines à gaz ingérables et à ouvrir la boîte de Pandore de nouveaux reports de charges non financés. En l’espèce, elle servira surtout à compenser le report d’âge, pour de nombreux fonctionnaires désireux d’intégrer la fameuse catégorie dite « active » – qui permet actuellement à près d’un million d’agents publics de partir à la retraite dès 52 ou 57 ans.
En fait de « progrès », ce mantra n’est qu’un élément de langage utilisé par le gouvernement pour tenter de faire accepter à ses opposants une énième réforme paramétrique, caractérisée par le recul de l’âge de la retraite – ce qui, au mieux (car ce n’est même pas certain !) permettra d’améliorer momentanément la situation financière, en attendant une nouvelle réforme dans une dizaine d’années. Mais le projet d’Elisabeth Borne consacre en réalité un statu quo et conserve une gestion des systèmes de retraite obsolète – notamment avec le maintien des régimes spéciaux des fonctionnaires, structurellement déficitaires.