Réforme des retraites : stade ultime de l’effondrement politique
Confronté à des manifestations de rue massives et à la menace d’une obstruction parlementaire des oppositions, Elisabeth Borne a décidé de passer en force et d’inclure sa réforme dans le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023, ce qui entraînera le recours à l’article 47-1 de la Constitution. Cet article constitutionnel restreint la durée des débats parlementaires et permettra au gouvernement de mettre en œuvre sa réforme par ordonnance, si aucun accord n’a été trouvé et n’a encore débouché sur un vote cinquante jours après le dépôt du projet de loi (en l’occurrence, au mois de mars).
Si le Conseil constitutionnel ne s’y oppose pas, le coup, politiquement bien joué, pourrait empêcher les différents partis d’opposition de déposer des floppées d’amendements pour retarder le vote du projet gouvernemental (les députés ont d’ailleurs disposé de moins de quarante-huit heures pour en rédiger et les déposer à l’Assemblée nationale).
En réalité, il est prévisible depuis le début que la réforme passera. Ces manœuvres politiciennes et cette agitation en trompe-l'oeil ne doivent donc pas masquer l’essentiel : son contenu. À défaut de la grande réforme structurelle promise par Emmanuelle Macron en 2017, le gouvernement accouche d’une énième réforme paramétrique, qui apportera un ballon d’oxygène grâce au report de l’âge légal de départ à 64 ans en 2030 et à l’accélération du calendrier d’application de la réforme Touraine, augmentant progressivement la durée de cotisation à 43 ans dès 2027. Toutefois, ces mesures restent insuffisantes pour assurer durablement l’équilibre financier des retraites. Il faudra donc procéder à une nouvelle réforme dans quelques années, comme le gouvernement lui-même en convient.
En coulisses, les négociations se poursuivent entre, d’une part, le pouvoir, qui a renoncé à réformer les principaux régimes spéciaux de retraite, à savoir ceux de la fonction publique, et d’autre part, les syndicats, qui s’emploieront à obtenir de généreuses compensations pour l’ensemble des régimes spéciaux du secteur public. À l’inverse, ce sont les jeunes générations et, comme toujours, les affiliés aux régimes du privé qui feront les frais de la réforme.
Le recours à l’article 47-1 par le gouvernement révèle surtout l’impossibilité d’organiser une réflexion digne de ce nom sur un sujet qui engage l’avenir des Français et de la nation elle-même. Le gouvernement n’est capable que de proposer un projet a minima, au lieu de la réforme structurelle majeure annoncée en 2017 les syndicats éructent et montrent leurs muscles pour satisfaire leurs adhérents il n’y a eu aucune concertation réelle à l’échelle nationale, et maintenant, le débat parlementaire est évacué. Au reste, les parlementaires qui connaissent suffisamment le sujet pour concevoir des aménagements ou des contre-propositions constructives au lieu de se contenter de postures démagogiques, se comptent sur les doigts d’une main. Sur un sujet crucial, c’est de la politique pour les gogos !