L'Etat lorgne sur l'épargne retraite des Français

Alerte sur l’épargne retraite : sous prétexte de mieux protéger les bénéficiaires de contrats de retraite supplémentaire, l’Etat Big Brother lorgne sur le bas de laine des Français.

Alors que la confiance des Français dans le système de retraite s’effrite (1), ils sont de plus en plus nombreux à recourir aux contrats de retraite supplémentaire par capitalisation (comme les contrats collectifs d’épargne retraite, dits « article 83 ») pour augmenter le montant de leur future pension. Mais, lorsque les caisses des régimes de retraite de base gérées par répartition accusent un déficit structurel, l’Etat est tenté de prendre le contrôle de ces ressources potentielles. C’est ce que laisse craindre une nouvelle loi, votée à la va-vite le 17 février 2021.

Cette loi prétend remédier à une faille – mineure – dans le suivi de ces contrats que les entreprises mettent en place pour leurs salariés. Il arrive que ces derniers ne liquident pas ces retraites supplémentaires, faute d’en connaître l’existence. Lorsqu’ils ont quitté l’entreprise et déménagé, notamment, les organismes gestionnaires (en général des mutuelles ou des assurances) perdent leur trace.

Le montant total des contrats de retraites supplémentaire non liquidés à l’âge de 62 ans dépasse 13 MM d'€ (selon des rapports de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en 2018 et de la Cour des comptes en 2019), mais ceux toujours pas liquidés après 70 ans représentent 1,8 MM d'€. Après être restés pendant dix ans dans les stocks financiers des assureurs, ces contrats réputés en déshérence sont transférés à la Caisse des Dépôts et Consignations.

Cette question a déjà fait l’objet de mesures récentes (loi Eckert en 2014, loi Sapin 2 en 2016, loi Pacte en 2019). Plus récemment, en janvier 2020, Mme Sophie Auconie, député (UDI), a déposé une proposition de loi « relative à la déshérence des retraites supplémentaires ». Elle prévoyait notamment d’organiser une campagne de communication grand public du gouvernement sur le rôle du site de la Caisse des Dépôts et Consignations, Ciclade, incitant tous les Français à vérifier s’ils ne possédaient pas d’encours transférés à la Caisse des dépôts. Cette solution paraissait logique. Pourtant, la proposition de loi Auconie fut rejetée.

Les retraites supplémentaires sous le contrôle de l’Etat

Deux mois plus tard, le 24 mars 2020, le député (LREM) Daniel Labaronne, en déposa une autre, sur le même thème, avec le soutien du groupe LRM (La République en Marche) et, à tout le moins, le nihil obstat du gouvernement. Celle-ci a été adoptée par l’Assemblée nationale le 17 février 2021.

Cette loi prévoit que « toute personne bénéficie gratuitement d’informations relatives aux produits d’épargne retraite auxquels elle a souscrit au cours de sa vie. » Ce ne sont donc pas seulement les contrats en déshérence qui sont concernés. Ces informations ne sont plus mises en ligne sur le site de la Caisse des dépôts, mais sur celui du Groupement d’intérêt public (GIP) Union Retraite, qui renseigne déjà les Français sur leurs retraites obligatoires (de base et complémentaires). À cette fin, il sera créé un répertoire consacré à la gestion de ces informations. Celles-ci seront fournies au GIP Union Retraite par les organismes gestionnaires (assurances, mutuelles, institutions de prévoyance, organismes de retraite professionnelle supplémentaire, établissements de crédit, entreprises d’investissements ou établissements habilités pour les activités de conservation ou d’administration d’instruments financiers), et comprendront « les références et la nature des produits ainsi que la désignation et les coordonnées des gestionnaires des contrats ». (2)

Tout cela change la donne. Car le GIP Union Retraite est constitué par les organismes de retraite obligatoire, de base et complémentaires, au nombre desquels figurent par exemple la CNAV, le régime des fonctionnaires de l’Etat et l’ensemble des régimes spéciaux, et même la Caisse des dépôts...

Autrement dit, les régimes par répartition, y compris le régime général des salariés du privé et ceux du secteur public - qui sont gérés par l’Etat et structurellement déficitaires - disposeront de tous les renseignements concernant l’épargne retraite des Français, le bas de laine que ces derniers se sont constitué dans le cadre des contrats de retraite en capitalisation ! Or, l’expérience enseigne que dans de telles situations, la tentation est systématique, pour l’Etat et la Sécurité sociale, de mettre la main sur les fonds ainsi capitalisés, notamment par le biais de mesures fiscales.

Cette loi passée presque inaperçue recèle donc une menace réelle pour les épargnants qu’elle prétend théoriquement protéger.

Attention, danger !

(1) Selon un sondage Ipsos réalisé pour le Cercle des Epargnants et publié le 9 février 2021, 78 % des Français se disent inquiets pour l’avenir du système de retraite et 60 % pour leur propre retraite. (2)Toutefois, la commission des Affaires sociales du Sénat s’est opposée à ce que ces informations comprennent l’estimation des droits susceptibles d’être produits par les contrats.


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