Réversion : « fraudes » ou conséquences d'un système inique ?
La Cour des Comptes vient de publier un rapport consacré à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Concernant la branche Vieillesse de la Sécurité sociale, elle évoque, entre autres, celles qui se caractérisent « par la non-déclaration de changements de situations (modification de la composition ou des ressources du foyer pour les prestations du minimum vieillesse et les pensions de réversion, décès à l’étranger non déclarés) ».
À propos des pensions de réversion, la Cour souligne qu’elles représentent 12 % des fraudes – « loin derrière » les prestations du Minimum Vieillesse, qui, soumises à des conditions de ressources et de résidence stable en France, ont été à l’origine de près de trois quarts des fraudes détectées.
Encore faut-il savoir de quoi l’on parle, concernant les pensions de réversion. On peut penser, en effet, qu’un certain nombre d’inexactitudes que la Cour des comptes présente, à la suite des caisses, comme des « fraudes », résultent en réalité d’erreurs commises de bonne foi. En matière de réversion, il arrive en effet souvent que le « fraudeur » soit victime de la complexité du système.
C’est du moins le cas lorsque le défunt avait effectué sa carrière dans le secteur privé et relevait du régime général (Cnav), où la réversion est soumise à des conditions qui n’existent pas dans les régimes spéciaux de retraite du secteur public.
Dans le régime général, l’attribution d’une pension de réversion est ainsi soumise à une double condition d’âge et de ressources :
- 1. le veuf ou la veuve doit être âgé de plus de 55 ans. (La loi Fillon du 21 août 2003 avait prévu de supprimer progressivement cette condition, qui aurait dû disparaître en 2011, mais la loi de Financement de la sécurité sociale pour 2009 est revenue sur cette réforme de simple justice – Fillon étant lui-même Premier ministre ! –, sans que les syndicats, si prompts à défendre les « droits acquis » du secteur public, n’élèvent la moindre protestation…)
- 2. En outre, les ressources brutes du conjoint survivant ne doivent pas excéder un plafond qui évolue chaque année (en 2020, 1 759,33 € par mois pour une personne seule ou 2 814,93 € si elle vit en couple). Dans ces ressources sont pris en compte les revenus d’activités et de biens propres, les pensions personnelles (y compris la pension de réversion complète calculée), etc.. Si elles sont inférieures ou égales au plafond, la pension de réversion est versée intégralement. Si elles le dépassent, la pension est écrêtée proportionnellement et il arrive souvent qu’il n’en reste rien.
En pratique, cette condition de ressources engendre des tracasseries administratives extrêmement pénibles pour des personnes souvent âgées et fragilisées par le décès de leur conjoint et souvent incapables d’éviter les embûches qui leur sont tendues.
Deux exemples, entre autres :
- parmi les ressources à prendre en compte figurent les biens immobiliers appartenant en propre au conjoint survivant, à l’exception de la résidence principale. Une résidence secondaire, en revanche, devra être déclarée sur la base arbitraire de 3 % de sa valeur vénale, même si elle ne procure aucun revenu ;
- de même, les donations faites par le conjoint survivant au bénéfice d’un descendant avant le décès de son conjoint, doivent être comptabilisées dans les ressources (bien qu’elles ne rapportent aucun revenu au donateur), à hauteur de 3 % de la valeur vénale du bien à la date de la demande de la pension de réversion, lorsque la donation a été faite à un descendant au cours des cinq dernières années ; et de 1,5 %, lorsqu’elle a été faite entre les cinq et dix dernières années.
L’administration elle-même ne communique pas explicitement tous les éléments à prendre en compte dans la déclaration des ressources. Seule une liste des ressources à ne pas prendre en compte est publiée. La complexité des règles est telle, qu’il est quasiment impossible d’éviter les erreurs sans l’aide d’un spécialiste.
Or, des contrôles réglementaires, effectués après plusieurs années, aboutissent souvent, en cas d’erreur, à des demandes de remboursement considérables pour des retraités aux ressources modiques – même en tenant compte d’une prescription biennale que la Cnav tente parfois d’ignorer.
Le rapport de la Cour des Comptes contient d’ailleurs une remarque révélatrice : « Contrairement aux retraites de base du régime général, les retraites complémentaires Agirc Arrco ne comprennent pas de prestations versées sous conditions de résidence ou de ressources (en dehors de l’action sociale), ce qui écarte les deux principaux motifs de fraudes détectées par les caisses du régime général », y lit-on. Autrement dit, lorsque les règles sont plus simples et moins tracassières, le nombre de fraudes diminue. Gageons qu’elles sont moins nombreuses aussi dans les régimes spéciaux de la fonction publique, où n’existe aucune condition d’âge, ni de ressources.
Il y a donc fraudes et « fraudes » : celles qui procèdent d’une véritable volonté de duper l’administration, et celles qui découlent de la complexité des règles, la bonne foi des « coupables » n’étant pas en cause. Pour diminuer le nombre de ces dernières, il importe donc de remettre le système à plat en vue de le simplifier et d’en finir avec le « un poids, deux mesures » pratiqué entre les régimes du secteur privé et les régimes spéciaux du public.
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