Agirc-Arrco et régimes spéciaux : un poids, deux mesures

Alors que la crise du coronavirus a placé les régimes complémentaires du privé dans une situation difficile, l’Etat a refusé de leur accorder un prêt. En revanche, il continue de payer sans compter pour les régimes spéciaux du secteur public.

Les régimes complémentaires des salariés du privé AGIRC-ARRCO se trouvent dans une situation difficile, du fait de l’arrêt brutal de l’économie consécutif aux choix du gouvernement au plus fort de l’épidémie de coronavirus : selon le ministère du Travail, 8,6 millions de salariés se trouvaient en chômage partiel le 30 avril, sur un peu moins de 18,5 millions de cotisants*. Emmanuel Macron a même parlé, pour s’en féliciter, d’une "nationalisation des salaires ".

Mais pour les caisses du privé, ce sont autant de rentrées qui ont manqué, la situation se trouvant aggravée par le report des versements de cotisations patronales. Selon une estimation provisoire du Conseil d’orientation des retraites (COR), la perte de ressources représenterait quelque 26 MM d'€ : 25,1 MM pour les régimes des salariés du privé et 0,9 MM pour ceux des non-salariés (en juin 2020 par rapport à novembre 2019).

Il en est résulté une baisse brutale des cotisations, provisoirement estimées à quelque 26 MM d'€ par le COR, qui annonce en outre que les effets de la crise différeront beaucoup selon les régimes. Ceux des salariés du privé ont perdu 25,1 MM d'€ de ressources en juin 2020 (par rapport au mois de novembre 2019), et ceux des non-salariés du privé 0,9 MM d'€. En revanche, les ressources des régimes de la fonction publique, abondées par l’impôt, ne baissent pas, et celles des autres régimes spéciaux diminuent seulement de 0,1 MM d'€.

Ainsi mis en difficulté, les régimes complémentaires du privé ont donc demandé au gouvernement, le 6 mai dernier, de leur consentir une avance de trésorerie de 8 MM d'€ pour payer les pensions des mois de juin et juillet 2020. Le gouvernement a répondu par une fin de non-recevoir le 29 mai dernier, sous prétexte que les réserves de l’AGIRC-ARRCO (65 MM d'€, à 70 % placées en obligations), « sont de nature à permettre la couverture du besoin » de financement. En effet ; mais il s'agit de six mois de réserves et s’en dessaisir aurait été une mauvaise opération dans le contexte économique actuel.

En revanche, le gouvernement a invité les caisses complémentaires des salariés du privé à demander une dérogation pour pouvoir recourir à un emprunt bancaire. En effet, il leur est théoriquement interdit d’emprunter et elles sont tenues d’être financièrement à l’équilibre. Ayant refait ses comptes, l’AGIRC-ARRCO s’apprêterait donc à emprunter 1 ou 2 MM d'€ auprès des banques – il faut espérer que cela restera exceptionnel, car dans un système par répartition l’endettement est à la fois dangereux et immoral.

Mais en toute justice, il conviendrait que l’Etat s’applique les mêmes règles qu’il impose aux autres. En l’occurrence, ce n’est pas le cas. Faites ce que je dis, pas ce que je fais : l’Etat allonge 78 MM d'€ par an (près du quart de l’ensemble des régimes de retraite), prélevés dans la poche des contribuables pour payer les pensions versées par les régimes spéciaux de la fonction publique, qui sont structurellement déficitaires, alors que les complémentaires du privé sont tenues d’être financièrement à l’équilibre !

Autrement dit, la « solidarité » est réservée au secteur public. Quant au privé, qu’il se débrouille pour financer ses propres pensions, après avoir été préalablement ponctionné pour payer, par l’impôt, celles des agents de l’Etat !

Les caisses du privé risquent pourtant de connaître des difficultés accrues si la crise économique débouche sur un chômage aggravé, susceptible de se traduire sur une nouvelle baisse sensible et prolongée des cotisations. Il ne restera alors que deux leviers pour remédier au déficit :

  • la baisse des pensions (que le COR prévoit jusqu’en 2040 pour le quart des salariés du privé)
  • ou l’augmentation de l’âge de départ.

L’AGIRC-ARRCO applique déjà une décote de 10 % pendant trois ans sur les pensions des affiliés du privé qui prennent leur retraite à l’âge et dans les conditions du taux plein. La doctrine française du « tout-répartition » montre ainsi ses limites. Rappelons qu’en revanche, le projet de loi gouvernemental voté au mois de février maintient un âge de départ à 52 ans pour une large catégorie des bénéficiaires des régimes spéciaux.

* En 2019. Source : Agirc-Arrco


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