Sept défauts majeurs de la réforme des retraites
- 1. L’étatisation.
L’Etat prévoit de renforcer la tutelle qu’il exerce déjà de facto sur les régimes complémentaires, appelés à être englobés dans le système (prétendument) universel. La sagesse voudrait au contraire que le système universel ne concerne que les régimes de base, les complémentaires répondant à d’autres besoins propres à chaque profession (capacité contributive des affiliés et niveau de couverture sociale).
De plus, l’intégration des régimes complémentaires au nouveau système augmentera le risque de créer une « usine à gaz » ingérable. L’exemple de la CNAVTS (13 % d’erreurs sur les dossiers selon la Cour des comptes) et la gestion démagogique des régimes spéciaux du public démontrent que l’Etat est le moins bon gestionnaire dans le domaine des retraites.
- 2. Le maintien et le développement du « tout répartition »
Edouard Philippe feint d’assimiler la capitalisation au règne « du chacun pour soi et du tant-pis pour les autres » et au pouvoir de « l’argent-roi » (discours du 11 décembre 2019). C’est se moquer du monde. La prétendue « solidarité » de la répartition revient à faire payer aux smicards du privé les retraites dorées des bénéficiaires des régimes spéciaux – y compris la cohorte des cadres supérieurs de la fonction publique et des entreprises publiques.
Chez beaucoup de nos voisins européens, les complémentaires sont gérées en capitalisation (les régimes de base restant en répartition), sans que les systèmes de retraite y soient pour autant assujettis à « l’argent-roi ». Par ailleurs, même en France, certains régimes fonctionnent déjà par capitalisation. Et il est remarquable que la plupart de ces régimes concernent le secteur public, qu’il s’agisse de la Préfon (régime complémentaire facultatif des fonctionnaires), de la RAFP (retraite additionnelle de la Fonction publique, fonctionnant par points et en capitalisation, quoiqu’en prétende l’Etat), sans parler de la « rolls » des régimes de retraite, celui des sénateurs.
- 3. Le renvoi à la saint-glinglin de la suppression des régimes spéciaux (si elle se réalise finalement…)
Le projet de loi prévoit que la réforme ne s’appliquera complètement qu’en 2022, à la génération née en 2004. Dans le meilleur des cas, les régimes spéciaux ne disparaîtront donc complètement que lorsque la génération précédente (2003) atteindra l’âge de la retraite – soit au minimum en 2065 !
Dans le meilleur des cas aussi, les régimes spéciaux seront donc fermés (et non pas supprimés) à partir de 2004. Cela pourrait représenter un progrès… si cette fermeture est effective. Mais sur ce chapitre, l’expérience enseigne à rester méfiant. En effet, les régimes spéciaux du public étaient censés être conservés à titre provisoire lors de la mise en place de la Sécu en 1945. En outre, une loi du 24 décembre 1974 avait prévu leur disparition au plus tard le 1er janvier 1978. Or, ils existent toujours…
- 4. La confiscation immédiate des réserves des régimes les mieux gérés (du privé)
S’il est prévu que les régimes spéciaux disparaissent à long terme, en revanche, l’Etat fera immédiatement main basse sur les 125 milliards d’euros de réserves constitués par les régimes les mieux gérés (ceux du privé). Il y a là de quoi se demander si ce n’est pas l’objectif premier de cette réforme, qui était censée être dictée par la recherche de l’équité entre les affiliés et non par les nécessités financières.
- 5. La compensation non financée de la transition des régimes spéciaux vers le système prétendument universel
Comme toujours, les effets de la réforme sur les retraites des agents publics (fonctionnaires et autres régimes spéciaux) risquent fort d’être « compensés », et neutralisés. La commission spéciale retraites de l’Assemblée nationale a ainsi voté un amendement qui permettra aux « employeurs des régimes spéciaux » (in fine l’État) de prendre en charge, pendant la période transitoire (de vingt ans !) vers le régime universel, la part de cotisation pas encore assumée par leurs salariés et les conditions d’exonération de ces prises en charge – aux frais du contribuable !
D’autres « compensations » sont par ailleurs prévues, comme l’intégration des primes dans le calcul de la pension ou le relèvement du traitement des enseignants, en « lot de consolation » puisqu’ils ont peu de primes. Entre le privé et le public, c’est plus que jamais deux poids deux mesures.
- 6. Un projet présenté hâtivement, avant que l’on sache comment il sera financé.
Le projet de loi ne précise nulle part comment ces « compensations » seront financées. Ce qui n’empêche pas que le texte soit présenté aux députés avant que la « conférence de financement » organisé par le gouvernement avec les syndicats ait rendu ses conclusions et émis des propositions. Encore de la poudre aux yeux !
On ne sait pas davantage comment sera financée la longue transition vers le système universel. À cet égard, le projet de loi ne prévoit même pas de créer une caisse des fonctionnaires de l’Etat – ce qui laisse présager que la gestion, ou plutôt l’absence de gestion de leur régime spécial continuera à peser sur les contribuables.
- 7. Une transition interminable qui fera porter tout l’effort sur les jeunes générations.
La première génération concernée (très progressivement) par la réforme sera celle de 1975 voire de 1980 ou 1985, pour les catégories les mieux loties des régimes spéciaux. Autrement dit, les générations du « papy-boom » (jusqu’en 1974) y échappent. Drôle de « solidarité » intergénérationnelle !
Pour mémoire, les engagements retraite de l’ensemble du système de retraite représentent près de 10 000 milliards d’euros (dont plus de 2 000 milliards pour les seuls fonctionnaires de l’Etat). Cette dette retraite s’ajoutera à la grande dépendance, toujours pas financée, pour peser sur les futurs actifs, proportionnellement moins nombreux qu’aujourd’hui par rapport aux retraités (on passera de 1,7 à 1,3 actif pour 1 retraité).
- Mots clés :
- réforme