Les actifs et retraités du privé une fois de plus sacrifiés

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) annonce dans son rapport annuel une saignée sur les pensions du privé. Les pensions du public, quant à elles, y échapperont. Quant à la réforme du système qui devait rétablir l’équité, le gouvernement est en train de la reporter une fois de plus.

L’exécutif le répète à qui veut l’entendre depuis deux ans : la future réforme des retraites n’aura pas pour objet d’assurer la pérennité financière du système, car celui-ci serait déjà « proche de l’équilibre grâce à toutes les réformes qui ont été faites par les gouvernements précédents », comme l’affirmait Jean-Paul Delevoye le 11 octobre dernier sur France Info. Disant cela, le haut-commissaire chargé de la réforme ne faisait que répéter les éléments de langage déclinés par le programme présidentiel d’Emmanuel Macron : « Les travaux du Conseil d’Orientation des Retraites le montrent : pour la première fois depuis des décennies, les perspectives financières permettent d'envisager l'avenir avec "une sérénité raisonnable". L’enjeu aujourd'hui n’est donc pas de repousser l’âge ou d'augmenter la durée de cotisation. »

Un couteau à triple lame

Cette prétendue « sérénité raisonnable » est aujourd’hui démentie par le Conseil d’orientation des retraites (COR), dans son rapport annuel publié le 13 juin 2019. En effet, si équilibre financier il doit y avoir, les cotisants et les retraités du privé le paieront au prix fort, à moins qu’une véritable réforme ne modifie enfin, profondément, le fonctionnement du système de retraite français. Or, la réalisation de cette réforme, annoncée à sons de trompe par Emmanuel Macron et Jean-Paul Delevoye, chargé de la préparer, est sans cesse reportée. Les élections municipales, départementales, régionales, présidentielle et législatives se succédant d’ici la fin du quinquennat, elle pourrait bien être renvoyée à la Saint-Glinglin.

En l’état actuel du système de retraite, les scénarios du COR prévoient pour les années à venir une augmentation des cotisations, un allongement de l’âge de départ et une baisse des taux de remplacement pour les actifs, ainsi qu’une baisse du niveau de vie relative – qui a déjà commencé – pour les retraités. Une véritable saignée des affiliés aux régimes du privé, opérée par le gouvernement avec un couteau à triple lame.

1. Première lame : les cotisations explosent

Dans le cas d’un non-cadre du secteur privé, par exemple, le COR remarque une augmentation de 30 % du taux de cotisation entre la génération née en 1940 et celle née en 2000.

2. Deuxième lame : recul de l’âge de départ

L’âge de départ en retraite, que la réforme 2010 avait déjà repoussé de deux ans, devrait de nouveau reculer de deux autres années – soit un report de quatre ans en moins de 10 ans depuis la réforme de 2010.

3. Troisième lame : la baisse des taux de remplacement

Selon les scénarios retenus par le COR, « le taux de remplacement du non-cadre du privé baisserait au fil des générations » : de 75 % pour la génération 1955, il varierait entre 63% et 68 % pour la génération 2000. « Cette baisse, d’autant plus forte que la croissance serait élevée, résulterait de l’indexation sur les prix et de la baisse du rendement à l’AGIRC-ARRCO », précise le rapport.

Une baisse du niveau de vie

Concernant les retraités, le COR reconnaît qu’« au niveau individuel, les pensions ont connu au cours des 25 dernières années une érosion de leur pouvoir d’achat différente selon la génération, d’autant plus importante que leur pension est élevée ». Ainsi, le pouvoir d’achat d’un retraité non-cadre du secteur privé a diminué d’environ 3 % selon les générations, entre l’année de son départ à la retraite et 2018 et celui d’un retraité cadre né en 1932 a enregistré une baisse de près de 14 %. Ces érosions « s’expliquent principalement par les mécanismes d’indexation des pensions et par la hausse des prélèvements sociaux sur les retraités (notamment celle de la CSG depuis sa création au début des années 1990). »

Cette baisse, commencée dans les années 1990, va se poursuivre. Le COR précise que les pensions continueraient de croître en euros constants, mais moins vite que les revenus : « la pension nette relative au revenu net varierait entre 42 % et 49 % en 2070, contre 66 % actuellement. La baisse de ce ratio serait d’autant plus élevée que la croissance serait forte. » De la sorte, le niveau de vie des retraités, qui était – en moyenne… – légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population en 2016 (de l’ordre de + 6 %), s’établirait, selon les scénarios retenus, entre 91 % et 96 % en 2040 et entre 78 % et 87 % en 2070. « Il reviendrait ainsi progressivement à son niveau des années 1980 ».

Le public une fois encore épargné

La fuite en avant qui consiste à sacrifier les retraités pour sauver les retraites, se poursuit donc mais ce sont seulement les affiliés aux régimes du privé (cotisants et pensionnés) qui sont frappés. Dans le même temps, les retraités du public, eux, sont et continueront à être épargnés, confortablement assis sur un taux de remplacement garanti de 75 % de leur dernier traitement (pour une pension à taux plein). Le COR évite toutefois de le reconnaître explicitement et s’évertue à prétendre que les fonctionnaires subiront eux aussi une érosion de leurs taux de remplacement, à proportion de la part des primes dans leurs pensions.

Mais le COR "oublie" de préciser que la part des primes dans la rémunération des fonctionnaires se stabilise et qu’aujourd’hui elles sont largement prises en compte dans le mode de calcul de leurs pensions, par le biais de nombreuses dérogations, de compensations – comme le régime Préfon et le régime additionnel de la Fonction publique (RAFP) – et, depuis 2016, du transfert primes-points, permettant d’intégrer une partie d’entre elles dans le traitement indiciaire afin d’augmenter la future pension des fonctionnaires. (Cf. l’étude de Sauvegarde retraites « Retraites des fonctionnaires : toujours plus ! »).

Sur cette réalité, le COR observe un "silence radio" édifiant. Elle indique pourtant l’angle mort de la future réforme des retraites : l’équité entre les salariés du privé et ceux du public n’est pas à l’ordre du jour, alors même qu’elle devrait constituer le cœur de cette réforme prétendument « structurelle » – en commençant par la suppression des régimes spéciaux.


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