SNCF : avec ou sans statut, le régime spécial demeure

Dans un entretien publié par « Les Échos » sur la disparition du statut des agents de la SNCF, Guillaume Pépy, son PDG, annonce le maintien du régime spécial de retraite.

Le régime spécial de retraite de la SNCF constitue le pilier principal du statut des cheminots. Or, à partir de 2020, les nouvelles recrues de la SNCF ne bénéficieront plus de ce statut. Est-ce donc la fin du régime spécial ? Non ! Car les avantages retraite seront intégralement sauvegardés par la nouvelle Convention collective nationale négociée avec les syndicats de la SNCF.

Le PDG de la société nationale lui-même, Guillaume Pépy, l’indique dans Les Échos du 4 octobre : « il ne peut y avoir de SNCF à deux vitesses, avec les statutaires d’un côté, et les nouveaux salariés, de l’autre. Le nouveau pacte social concernera donc tous les cheminots.(…) Le futur dispositif sera motivant et attractif pour tous. Et les garanties fondamentales du statut, sur l’emploi, le droit syndical ou encore le régime de retraite, seront préservées… ». Le tout, aux frais des contribuables…

En effet, l’existence du régime spécial n’est pas liée au statut. En l’occurrence, d’ailleurs, l’histoire bégaie : lors de la création de la SNCF (et de la nationalisation des chemins de fer) en 1938, le statut fut d’ailleurs supprimé une première fois et remplacé par une convention collective. Or, les cheminots bénéficiaient déjà d’un régime spécial, qui fut maintenu, à titre « transitoire » par l’ordonnance du 4 octobre 1945, créant le régime général. Voilà ce qu’on appelle une « transition » durable !

Le statut fut rétabli en 1950, sans que le régime spécial en soit le moins du monde affecté. À moins qu’un fort courant d’opinion ne contraigne le gouvernement et la direction de la SNCF à revoir leur copie, il en ira donc de même en 2020.

Rappelons les principaux avantages que ledit régime spécial des agents de la société nationale des chemins de fer octroie à ses affiliés (1) :

  • des pensions dont le niveau, garanti, représente 75 % à 80 % de la rémunération calculée sur la base des six derniers mois de salaire (contre les 25 meilleures années sous plafond au régime général et l’ensemble de la carrière dans les complémentaires du privé), en incluant la majeure partie des primes, gratifications, majorations et indemnités
  • la possibilité pour les agents qui le désirent de liquider leurs droits à 52 ou 57 ans (et même un peu avant pour ceux qui partiront à la retraite avant l’application complète de la réforme, en 2023)
  • une meilleure réversion pour les veuves ou veufs d’agents de la SNCF
  • des majorations familiales calquées sur celles des retraités de la fonction publique
  • des bonifications d’annuités, trimestres « gratuits » octroyés sans période de travail correspondante (lorsque ces avantages ont été supprimés, ils ont été remplacés par un dispositif de compensation comprenant un avenant au Compte épargne temps et un régime de retraite supplémentaire).

Les régimes spéciaux maintenus au sein du régime « universel » ?

Pour financer les retraites des agents SNCF, l’État verse à la SNCF une subvention « d’équilibre » (terme pour le moins abusif), payée par l’ensemble des contribuables, qui s’est élevée en 2018 à plus de 3,2 MMd'€, ce qui représente près des deux tiers des pensions servies par le régime spécial.

S’y ajoutent les cotisations patronales et salariales, pour un total de 1,6 MM d'€, répartis entre un taux « T1 », destinés à couvrir les montants de pension qui seraient dus si les agents relevaient du régime général des salariés du privé, et un taux « T2 » destinés à « contribuer au financement des avantages supplémentaires et spécifiques » offerts par le régime spécial. Ici aussi, c’est en définitive le contribuable qui paie puisque la SNCF est déficitaire et endettée, malgré la « reprise » par l’État (son unique propriétaire…) d’une partie de sa dette, à hauteur de 50 MM d'€.

C’est pourtant ce régime que le PDG Guillaume Pépy et le gouvernement envisagent de perpétuer en l’étendant aux nouveaux agents, sous prétexte qu’« il ne peut y avoir de SNCF à deux vitesses, avec les statutaires d’un côté et les nouveaux salariés » de l’autre. Cet argument est faux, comme le montrent non seulement les exemples de La Poste ou d’Orange - où tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne - mais, plus encore, les situations des retraités du public et du privé au sein du système de retraite français.

Mais le maintien des avantages retraite des agents de la SNCF confirme, en outre, ce que nous pressentions déjà : la création du prétendu "système universel" annoncé par Emmanuel Macron et son haut-commissaire, Jean-Paul Delevoye, n’entraînera pas la disparition des régimes spéciaux du secteur public. Et dans ce cas, les affiliés aux régimes du privé risquent d’être les seuls à faire les frais de la prochaine réforme. Une fois de plus.

  • Cf. l’étude n° 59 de Sauvegarde Retraites, « Les retraites "Première Classe" de la SNCF » (juin 2018), qui expose l’intégralité de ces avantages.

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