C’est particulièrement vrai en matière de retraites où les inégalités en faveur du domaine public restent criantes. La dérive amorale des syndicats est l’élément clé de ce système d’injustice structurelle : théoriquement porteuses de valeurs égalitaires, les organisations syndicales agissent en réalité pour préserver les avantages acquis du secteur public au détriment de la collectivité.
Le cas de l’EDF est emblématique. Promise à un changement de statut au 1er juillet qui implique une ouverture du capital, l’entreprise-phare de notre appareil public s’interroge sur l’avenir de son système de retraites d’une générosité complètement irrationnelle vu l’état des finances nationales et les prévisions démographiques. L’âge de départ à 55 ans pour les 56 000 actifs, une bonification de deux mois par année de travail, une pension équivalant à 75-80% du dernier salaire : soit pour une population de 110 000 retraités un total de 2,45 milliards d’euros financés à hauteur de 40% seulement par les cotisations. EDF constitue une niche de régimes spéciaux, à l’image du monde de la fonction publique. Mais le marché a une vertu démocratique. En s’entrouvrant aux règles de l’économie marchande, l’EDF est contrainte de clarifier ses comptes. Le débat sur les chiffres est un élément de transparence. Dès lors que l’EDF sort peu à peu du monde fermé, presque illisible de l’organisation publique, l’information retrouve ses droits.
L’usine à privilèges qu’est l’entreprise publique se dévoile. Le régime spécifique des retraites de la branche énergie (industries électriques et gazières) représente la somme astronomique de 70 à 80 (selon les estimations) milliards d’euros de droits acquis. Imaginons qu’EDF veuille provisionner d’un coup son délirant régime de pensions , elle devrait débourser entre 50 et 60 milliards d’euros, alors que l’entreprise dispose moins de 20 milliards de fonds propres ! Cela donne un aperçu du colossal déséquilibre qu’il va bien falloir réduire en facturant, selon la probabilité, le trou financier sur le dos de nous tous, cotisants du régime général.
En effet, il est question d’adosser le système EDF au régime géré par la Caisse Nationale d’Assurance-Vieillesse. En échange, l’entreprise devra verser une soulte d’une dizaine de milliards à la CNAV. Et qui paiera les milliards restants ? Comment s’opérera, année après année, le processus d’adossement sans pénaliser les 15 millions de cotisants du régime général ?Une caisse de pensions des Industries Electriques et Gazières doit être créée. Elle servira d’interface entre cotisants et assurés. Elle sera alimentée d’une part par la CNAV et les caisses complémentaires pour la part des retraites correspondant au régime de base des salariés du privé et, d’autre part, par une taxe nouvelle sur le transport de l’électricité ainsi qu’une contribution des entreprises au titre du régime « chapeau » c’est-à-dire des droits spécifiques. Cette taxe risque fort de se répercuter sur la facture des usagers qui l’acquitteront totalement alors que les salariés d’EDF, exonérés à 90% sur le coût de leur consommation d’électricité, n’en paieront que 10%. La logique en boucle des privilèges publics consolide les privilèges. Autre exemple : au nom de l’égalité, les cotisations de salariés d’EDF ont été augmentées, au printemps 2003. Aussitôt, ce prélèvement fut compensé par une hausse de salaire.
Des élus de la majorité actuelle expliquent clairement que la justice sociale exigerait la mise en place d’un régime de retraites unique entraînant la suppression des régimes spéciaux . Le projet de réforme concernant l’EDF prouve à l’inverse que la pratique du deux poids deux mesures au profit du secteur public, et payée par le privé, reste la norme. Derrière les discours sur l’égalité, les inégalités s’amplifient et se cristallisent. Nicolas Baverez a parlé d’un « choix schizophrène » à la française qui conduit le pays à soumettre le privé aux épreuves de la concurrence tout en plaçant le domaine public à l’abri « d’une bulle protectrice ». En matière de retraites, nous sommes à la pointe de la schizophrénie socio-économique !
|