La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a prévu le rachat de cotisations de retraite de la sécurité sociale au titre des années d’étude. Les décrets d’application sont en cours de rédaction, et les syndicats protestent contre les montants exorbitants qui sont envisagés : 20 656 euros pour une année rachetée par une personne de 59 ans . De quoi s’agit-il ? Du retour de la bonne vieille rançon que les seigneurs-brigands du moyen âge exigeaient pour restituer leurs prisonniers.
L’instrument de la capture est la décote. Celle-ci consiste à pénaliser les salariés du privé qui liquident leur pension avant 65 ans s’ils n’ont pas validé 40 annuités (puis davantage après 2008). Supposons que Véronique et Xavier liquident tous deux leur pension à 60 ans en 2004, que leur salaire de référence soit le même, et que Véronique ait validé 37 annuités tandis que Xavier en a 40. Le bon sens et l’équité voudraient que Véronique perçoive 92,5 % de la rente à laquelle a droit Xavier (37 / 40). Mais les règles de la sécurité sociale n’ont pas grand chose à voir avec le sens commun, ni avec la justice. Elles conduisent à attribuer à Véronique 69,6 % (au lieu de 92,5 %) de la pension de Xavier . Cette disposition est un modèle de l’égalité hommes – femmes à la française : elle frappe 61 % des femmes contre 15 % des hommes.
Le Gouvernement semble vouloir atténuer cette injustice : un décret devrait ramener en dix ans le taux de la décote de 10 % à 5 % par année manquante. Mais atténuer n’est pas supprimer. Au terme de ce processus, en 2014, si Zakia et Yves, 60 ans et même salaire de référence, ont respectivement validé 38 et 41 annuités (nombre alors nécessaire pour obtenir le « taux plein », soit 50 % du salaire de référence), la première n’obtiendra pas 92,7 % de la pension du second, mais 78,8 % : il manquera encore 15 % de ce qu’exigerait l’égalité de traitement.
En l’absence de décote, la question du rachat d’annuités ne se poserait pas : obtenant leur dû dans le régime par répartition, Véronique et Zakia pourraient se tourner vers une formule d’épargne en vue de la retraite telle que le PERP pour se procurer un revenu complémentaire jusqu’à leur mort. En autorisant des versements défiscalisés au delà de la limite de 10 % du revenu imposable lorsque ces versements auraient pour but de compenser la durée des études, les pouvoirs publics règleraient le problème de façon simple et élégante.
Mais le Gouvernement a décidé de garder prisonnières les personnes ayant une carrière incomplète. Avec un régime adouci (décote réduite de moitié) mais néanmoins carcéral. Et il propose à ses prisonniers de les libérer contre rançon. Deux rachats sont prévus. Si les barèmes envisagés sont maintenus, Véronique pourra obtenir : pour 41 820 euros, qu’on ne lui applique pas la décote, donc probablement qu’on lui accorde les 92,5 % de la moitié de son salaire de référence auxquels elle devrait avoir normalement droit sans rien payer ; pour 61 968 euros, 50 % de son salaire de base, comme si elle avait travaillé trois années de plus. Cette somme représente plus de trois années du salaire net moyen (1750 euros par mois en 2001).
Y aura-t-il beaucoup de personnes pour racheter leur décote ? Le Gouvernement l’ignore : comme à l’accoutumée, il n’a fait effectuer aucune étude à ce sujet.
En outre, il n’a pas dit quel usage sera fait des sommes ainsi récoltées. Elles devraient en bonne logique être versées au fonds de réserve des retraites. Mais ne seront-elles pas utilisées pour combler dans l’immédiat le « trou de la sécu », avec comme conséquence le creusement de trous futurs ? Avouons que ce serait tentant …
Un autre problème non résolu est relatif aux retraites ARRCO et AGIRC. En effet, si en rachetant des années d’étude une personne obtient le droit de partir à taux plein à 60 ans dans le régime de la sécurité sociale, cela devrait lui donner le même droit dans les régimes complémentaires. Les versements mis à la charge de ces régimes seront ainsi augmentés. Mais quid de leurs ressources ? Il ne semble pas qu’il soit envisagé de partager les rançons (pardon, les rachats) entre la sécurité sociale et l’AGFF (structure qui finance les pensions AGIRC et ARRCO versées sans réduction avant 65 ans). L’accord du 13 novembre entre partenaires sociaux a certes prévu que des rachats de points puissent être effectués dans les régimes AGIRC et ARRCO lorsque des annuités le seront dans le régime général, mais cela ne résout pas le problème du surcoût inhérent à la diminution (ou suppression) des coefficients de départ anticipé provoquée par les rachats d’annuités.
Enfin, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, comme dirait Pangloss : n’en doutons pas, les rançons sauveront nos retraites ! |